Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/285

Cette page a été validée par deux contributeurs.
275
DES CHRÉTIENS, DE DIOCLÉTIEN À CONSTANTIN.


bien naturel de croire que des gens qui avaient déchiré publiquement les édits, et qui avaient brûlé des temples comme ils l’avaient fait souvent, avaient aussi brûlé le palais ; cependant il est très-faux qu’il y eût une persécution générale contre eux. Il faut bien qu’on n’eût sévi que légalement contre les réfractaires, puisque Dioclétien ordonna qu’on enterrât les suppliciés, ce qu’il n’aurait point fait si on avait persécuté sans forme de procès. On ne trouve aucun édit qui condamne à la mort uniquement pour faire profession du christianisme. Cela eût été aussi insensé et aussi horrible que la Saint-Barthélemy, que les massacres d’Irlande, et que la croisade contre les Albigeois : car alors un cinquième ou un sixième de l’empire était chrétien. Une telle persécution eût forcé cette sixième partie de l’empire de courir aux armes, et le désespoir qui l’eût armée l’aurait rendue terrible.

Des déclamateurs, comme Eusèbe de Césarée et ceux qui l’ont suivi, disent en général qu’il y eut une quantité incroyable de chrétiens immolés. Mais d’où vient que l’historien Zosime n’en dit pas un seul mot ? Pourquoi Zonare, chrétien, ne nomme-t-il aucun de ces fameux martyrs ? D’où vient que l’exagération ecclésiastique ne nous a pas conservé les noms de cinquante chrétiens livrés à la mort ?

Si on examinait avec des yeux critiques ces prétendus massacres que la Légende impute vaguement à Dioclétien, il y aurait prodigieusement à rabattre, ou plutôt on aurait le plus profond mépris pour ces impostures, et on cesserait de regarder Dioclétien comme un persécuteur.

C’est en effet sous ce prince qu’on place la ridicule aventure du cabaretier Théodote, la prétendue légion thébaine immolée, le petit Romain né bègue, qui parle avec une volubilité incroyable sitôt que le médecin de l’empereur, devenu bourreau, lui a coupé la langue ; et vingt autres aventures pareilles que les vieilles radoteuses de Cornouailles auraient honte aujourd’hui de débiter à leurs petits enfants[1].

  1. Si, dans le ive siècle de notre ridicule computation, il y eut quelques chrétiens punis pour les crimes et pour les abominations qu’on leur imputait, faut-il s’en étonner ? N’avons-nous pas vu que des évêques leur reprochaient les choses les plus monstrueuses ? [Voyez page 246.] Le savant Hume nous a fait remarquer la plus horrible abomination, que milord Bolingbroke avait oubliée, et qui est rapportée par saint Épiphane. Vous la trouverez dans l’édition de Paris, 1564, page 185. Il y est question d’une société de chrétiens qui immolent un enfant païen à l’enfant Jésus, en le faisant périr à coups d’aiguilles. J’avoue que je ne suis point étonné de ce raffinement d’horreur, après les incroyables excès où se portèrent les papistes contre les protestants dans les massacres d’Irlande. La superstition est capable de tout. (Note de Decroix.)