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CHAPITRE XXVIII.


donc ensuite la cause de la disgrâce des chrétiens, les deux dernières années du règne d’un empereur assez philosophe pour abdiquer l’empire, pour vivre en solitaire, et pour ne s’en repentir jamais ?

Les chrétiens étaient attachés à Constance le Pâle, père du célèbre Constantin, qu’il eut d’une servante de sa maison nommée Hélène[1].

Constance les protégea toujours ouvertement. On ne sait si le césar Galérius fut jaloux de la préférence que les chrétiens donnaient sur lui à Constance le Pâle, ou s’il eut quelque autre sujet de se plaindre d’eux ; mais il trouva fort mauvais qu’ils bâtissent une église qui offusquait son palais. Il sollicita longtemps Dioclétien de faire abattre cette église et de prohiber l’exercice de la religion chrétienne. Dioclétien résista ; il assembla enfin un conseil composé des principaux officiers de l’empire. Je me souviens d’avoir lu dans l’Histoire ecclésiastique de Fleury que « cet empereur avait la malice de ne point consulter quand il voulait faire du bien, et de consulter quand il s’agissait de faire du mal ». Ce que Fleury appelle malice, je l’avoue, me paraît le plus grand éloge d’un souverain. Y a-t-il rien de plus beau que de faire le bien par soi-même ? Un grand cœur alors ne consulte personne ; mais dans les actions de rigueur, un homme juste et sage ne fait rien sans conseil.

L’église de Nicomédie fut enfin démolie en 303 ; mais Dioclétien se contenta de décerner que les chrétiens ne seraient plus élevés aux dignités de l’empire : c’était retirer ses grâces, mais ce n’était point persécuter. Il arriva qu’un chrétien eut l’insolence d’arracher publiquement l’édit de l’empereur, de le déchirer, et de le fouler aux pieds. Ce crime fut puni, comme il méritait de l’être, par la mort du coupable. Alors Prisca, femme de l’empereur, n’osa plus protéger des séditieux ; elle quitta même la religion chrétienne, quand elle vit qu’elle ne conduisait qu’au fanatisme et à la révolte. Galérius fut alors en pleine liberté d’exercer sa vengeance.

Il y avait en ce temps beaucoup de chrétiens dans l’Arménie et dans la Syrie : il s’y fit des soulèvements ; les chrétiens même furent accusés d’avoir mis le feu au palais de Galérius. Il était

  1. Cette Hélène, dont on a fait une sainte, était stabularia, préposée à l’écurie chez Constance-Chlore, comme l’avouent Eusèbe, Ambroise, Nicéphore, Jérôme. La Chronique d’Alexandrie appelle Constantin bâtard ; Zosime le certifie ; et certainement on n’aurait point fait cet affront à la famille d’un empereur si puissant s’il y avait eu le moindre doute sur sa naissance. (Note de Voltaire, 1767.)