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DES MIRACLES.


Étaient-ils obligés de vous dire leur secret ? Si un escroc vient me dire : Avez-vous de l’argent ? je ferai très-bien de lui répondre : Je n’en ai point. Voilà, en un mot, le plus abominable miracle qu’on puisse trouver dans la légende des miracles. Aucun de tous ceux qu’on a faits depuis n’en approche ; et si la chose était vraie, ce serait la plus exécrable des choses vraies.

Il est doux d’avoir le don des langues ; il serait plus doux d’avoir le sens commun. Les Pères de l’Église eurent du moins le don de la langue, car ils parlèrent beaucoup ; mais il n’y eut parmi eux qu’Origène et Jérôme qui sussent l’hébreu. Augustin, Ambroise, Jean Chrysostome, n’en savaient pas un mot.

Nous avons déjà vu les beaux miracles des martyrs, qui se laissaient toujours couper la tête pour dernier prodige. Origène à la vérité, dans son premier livre contre Celse, dit que les chrétiens ont des visions, mais il n’ose prétendre qu’ils ressuscitent des morts.

Le christianisme opéra toujours de grandes choses dans les premiers siècles. Saint Jean, par exemple, enterré dans Éphèse, remuait continuellement dans sa fosse ; ce miracle utile dura jusqu’au temps de l’évêque d’Hippone Augustin[1]. Les prédictions, les exorcismes, ne manquaient jamais : Lucien même en rend témoignage. Voici comme il rend gloire à la vérité dans le chapitre de la mort du chrétien Peregrinus, qui eut la vanité de se brûler : « Dès qu’un joueur de gobelets habile se fait chrétien, il est sûr de faire fortune aux dépens des sots fanatiques auxquels il a à faire. »

Les chrétiens faisaient tous les jours des miracles, dont aucun Romain n’entendit jamais parler. Ceux de Grégoire le thaumaturge, ou le merveilleux, sont en effet dignes de ce surnom. Premièrement, un beau vieillard descend du ciel pour lui dicter le catéchisme qu’il doit enseigner. Chemin faisant il écrit une lettre au diable ; la lettre parvient à son adresse, et le diable ne manque pas de faire ce que Grégoire lui ordonne.

Deux frères se disputent un étang ; Grégoire sèche l’étang, et le fait disparaître pour apaiser la noise. Il rencontre un charbonnier[2], et le fait évêque. C’est apparemment depuis ce temps-là que la foi du charbonnier est passée en proverbe. Mais ce miracle n’est pas grand ; j’ai vu quelques évêques[3] dans mes voyages qui

  1. Augustin, tome III, page 189. (Note de Voltaire.)
  2. Alexandre, évêque de Comane.
  3. Voltaire désigne ici Biord, petit-fils d’un maçon et évêque d’Annecy, mais qui n’avait pas le mortier liant, dit Voltaire dans sa lettre à d’Alembert, du