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DES MARTYRS.


farce[1] devant l’empereur Dioclétien, et qui fut condamné par cet empereur dans le temps qu’il favorisait le plus les chrétiens ? Et d’une légion thébaine, laquelle fut envoyée d’Orient en Occident pour aller réprimer la sédition des Bagaudes, qui était déjà réprimée, et qui fut martyrisée tout entière dans un temps où l’on ne martyrisait personne, et dans un lieu où il n’est pas possible de mettre quatre cents hommes en bataille ; et qui enfin fut transmise au public par écrit, deux cents ans après cette belle aventure ?

Ce serait un ennui insupportable de rapporter tous ces prétendus martyres. Cependant je ne peux m’empêcher de jeter encore un coup d’œil sur quelques martyrs des plus célèbres.

Nilus, témoin oculaire à la vérité, mais qui est inconnu (et c’est grand dommage), assure que son ami saint Théodote, cabaretier de son métier, faisait tous les miracles qu’il voulait. C’était à lui de changer l’eau en vin ; mais il aimait mieux guérir les malades en les touchant du bout du doigt. Le cabaretier Théodote[2] rencontra un curé de la ville d’Ancyre dans un pré ; ils trouvèrent ce pré tout à fait propre à y bâtir une chapelle dans un temps de persécution : « Je le veux bien, dit le prêtre, mais il me faut des reliques. — Qu’à cela ne tienne, dit le saint, vous en aurez bientôt ; et voilà ma bague que je vous donne en gage. » Il était bien sûr de son fait, comme vous l’allez voir.

On condamna bientôt sept vierges chrétiennes d’Ancyre, de soixante et dix ans chacune, à être livrées aux brutales passions des jeunes gens de la ville. La Légende ne manque pas de remarquer que ces demoiselles étaient très-ridées ; et ce qui est fort étonnant, c’est que ces jeunes gens ne leur firent pas la moindre avance, à l’exception d’un seul qui, ayant en sa personne de quoi négliger ce point-là, voulut tenter l’aventure, et s’en dégoûta bientôt. Le gouverneur, extrêmement irrité que ces sept vieilles n’eussent pas subi le supplice qu’il leur destinait, les fit prêtresses de Diane : ce que ces vierges chrétiennes acceptèrent sans difficulté. Elles furent nommées pour aller laver la statue de Diane dans le lac voisin ; elles étaient toutes nues, car c’était sans doute l’usage que la chaste Diane ne fût jamais servie que par des filles nues, quoiqu’on n’approchât jamais d’elle qu’avec un grand voile. Deux

  1. Il contrefaisait le malade, disent les Actes sincères. « Je suis bien lourd, disait Genest. — Veux-tu qu’on te fasse raboter ? — Non, je veux qu’on me donne l’extrême-onction des chrétiens. » Aussitôt deux acteurs l’oignirent, et il fut converti sur-le-champ. Vous remarquerez que, du temps de Dioclétien, l’extrême-onction était absolument inconnue dans l’Église latine. (Note de Voltaire, 1771.)
  2. Voyez tome XX, page 42.