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CHAPITRE XXII.


devant un chrétien), versez le sang de ce chrétien téméraire ; qu’y a-t-il de plus manifeste ? qu’y a-t-il de plus prouvé ? »

À cela tout lecteur sage répond : Qu’y a-t-il de plus extravagant et de plus fanatique que ce discours ? Comment des statues auraient-elles avoué au premier chrétien venu qu’elles étaient des diables ? En quel temps, en quel lieu, a-t-on vu un pareil prodige ? Il fallait que Tertullien fût bien sûr que les Romains ne liraient pas sa ridicule apologie, et qu’on ne lui donnerait pas des statues d’Esculape à exorciser, pour qu’il osât avancer de telles absurdités.

Son chapitre XXXIIe qu’on n’a jamais remarqué, est très-remarquable. « Nous prions Dieu, dit-il, pour les empereurs et pour l’empire ; mais c’est que nous savons que la dissolution générale qui menace l’univers et la consommation des siècles en sera retardée. »

Misérable ! tu n’aurais donc pas prié pour tes maîtres, si tu avais su que le monde dût subsister encore.

Que Tertullien veut-il dire dans son latin barbare ? Entend-il le règne de mille ans ? entend-il la fin du monde annoncée par Luc et par Paul, et qui n’était point arrivée ? entend-il qu’un chrétien peut, par sa prière, empêcher Dieu de mettre fin à l’univers, quand Dieu a résolu de briser son ouvrage ? N’est-ce pas là l’idée d’un énergumène, quelque sens qu’on puisse lui donner ?

Une observation beaucoup plus importante, c’est qu’à la fin du second siècle il y avait déjà des chrétiens très-riches. Il n’est pas étonnant qu’en deux cents années leurs missionnaires ardents et infatigables eussent attiré enfin à leur parti des gens d’honnêtes familles. Exclus des dignités, parce qu’ils ne voulaient pas assister aux cérémonies instituées pour la prospérité de l’empire, ils exerçaient le négoce comme les presbytériens et autres non-conformistes ont fait en France et font chez nous ; ils s’enrichissaient. Leurs agapes étaient de grands festins ; on leur reprochait déjà le luxe et la bonne chère. Tertullien en convient (chapitre XXXIX) : « Oui, dit-il ; mais dans les mystères d’Athènes et d’Égypte, ne fait-on pas bonne chère aussi ? Quelque dépense que nous fassions, elle est utile et pieuse, puisque les pauvres en profitent. Quantiscumque sumptibus constet, lucrum est pietatis, siquidem inopes refrigerio isto juvamus. »

Enfin le fougueux Tertullien se plaint de ce qu’on ne persécute pas les philosophes, et de ce qu’on réprime les chrétiens (chapitre XLVI). « Y a-t-il quelqu’un, dit-il, qui force un philosophe à sacrifier, à jurer par vos dieux ? Quis enim philosophum sacrificare