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DE JUSTIN.


-ils pas tous les jours comme d’irréprochables témoins ? Ne prouverait-on pas à Oxford et en Sorbonne la vérité de leurs écrits par leur conformité avec les Actes des apôtres, et la vérité des Actes des apôtres par ces mêmes écrits d’Abdias, d’Hégésippe, et de Marcel ? Leurs histoires sont assurément aussi authentiques que les Actes des apôtres et les Évangiles ; elles sont parvenues jusqu’à nous de siècle en siècle par la même voie, et il n’y a pas plus de raison de rejeter les unes que les autres.

Je passe sous silence le reste de cette histoire, les beaux faits d’André, de Jacques le Majeur, de Jean, de Jacques le Mineur, de Matthieu, et de Thomas. Lira qui voudra ces inepties. Le même fanatisme, la même imbécillité, les ont toutes dictées ; mais un ridicule trop long est trop insipide[1].


CHAPITRE XXI.

DES DOGMES ET DE LA MÉTAPHYSIQUE DES CHRÉTIENS DES PREMIERS SIÈCLES. — DE JUSTIN.

Justin, qui vivait sous les Antonins, est un des premiers qui aient eu quelque teinture de ce qu’on appelait philosophie : il fut aussi un des premiers qui donnèrent du crédit aux oracles des sibylles, à la Jérusalem nouvelle, et au séjour que Jésus-Christ devait faire sur la terre pendant mille ans. Il prétendit que toute la science des Grecs venait des Juifs. Il certifie, dans sa seconde apologie pour les chrétiens, que les dieux n’étaient que des diables qui venaient, en forme d’incubes et de succubes, coucher avec

  1. Milord Bolingbroke a bien raison. C’est ce mortel ennui qu’on éprouve à la lecture de tous ces livres qui les sauve de l’examen auquel ils ne pourraient résister. Où sont les magistrats, les guerriers, les négociants, les cultivateurs, les gens de lettres même, qui aient jamais seulement entendu parler des Gestes du bienheureux apôtre André, de la Lettre de saint Ignace le martyr à la vierge Marie, et de la Réponse de la Vierge ? Connaîtrait-on même un seul des livres des Juifs et des premiers chrétiens, si des hommes gagés pour les faire valoir n’en rebattaient pas continuellement nos oreilles, s’ils ne s’étaient pas fait un patrimoine de notre crédulité ? Y a-t-il rien au monde de plus ridicule et de plus grossier que la fable du voyage de Simon Barjone à Rome ? C’est cependant sur cette impertinence qu’est fondé le trône du pape : c’est ce qui a plongé tous les évêques de sa communion dans sa dépendance ; c’est ce qui fait qu’ils s’intitulent évêques par la permission du saint-siége, quoiqu’ils soient égaux à lui par les lois de leur Église. C’est enfin ce qui a donné aux papes les domaines des empereurs en Italie. C’est ce qui a dépouillé trente seigneurs italiens pour enrichir cette idole. (Note de Voltaire, 1771.)