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DES ÉVANGILES.


ne sait si ce malheureux gagna au marché. Chemin faisant, la famille errante rencontre deux voleurs, l’un nommé Dumachus, et l’autre Titus[1]. Dumachus voulait absolument voler la sainte Vierge, et lui faire pis. Titus prit le parti de Marie, et donna quarante drachmes à Dumachus pour l’engager à laisser passer la famille sans lui faire de mal. Jésus déclara à la sainte Vierge que Dumachus serait le mauvais larron, et Titus le bon larron ; qu’ils seraient un jour pendus avec lui, que Titus irait en paradis, et Dumachus à tous les diables.

L’Évangile selon saint Jacques, frère aîné de Jésus, ou, selon Pierre Barjone, Évangile reconnu et vanté par Tertullien et par Origène, fut encore en plus grande recommandation. On l’appelait protevangelion, premier Évangile. C’est peut-être le premier qui ait parlé de la nouvelle étoile, de l’arrivée des mages, et des petits enfants que le premier Hérode fit égorger.

Il y a encore une espèce d’Évangile, ou d’Actes de Jean, dans lequel on fait danser Jésus avec ses apôtres la veille de sa mort ; et la chose est d’autant plus vraisemblable que les thérapeutes étaient en effet dans l’usage de danser en rond, ce qui doit plaire beaucoup au Père céleste[2].

  1. Voilà de plaisants noms pour des Égyptiens. (Note de Voltaire, 1771.)
  2. Il n’est point dit dans saint Matthieu que Jésus-Christ dansa avec ses apôtres, mais il est dit dans saint Matthieu, chap. XXVI, v. 30 : « Ils chantèrent un hymne, et allèrent au mont Olivet. »

    Il est vrai que dans cet hymne on trouve ce couplet : « Je veux chanter, dansez tous de joie. » Ce qui fait voir qu’en effet on mêla la danse au chant, comme dans toutes les cérémonies religieuses de ce temps-là. Saint Augustin rapporte cette chanson dans sa Lettre à Cérétius.

    Il est fort indifférent de savoir si en effet cette chanson rapportée par Augustin fut chantée ou non, la voici :

    Je veux délier, et je veux être délié.
    Je veux sauver, et je veux être sauvé.
    Je veux engendrer, et je veux être engendré.
    Je veux chanter, dansez tous de joie.
    Je veux pleurer, frappez-vous tous de douleur.
    Je veux orner, et je veux être orné.
    Je suis la lampe pour vous qui me voyez.
    Je suis la porte pour vous qui y frappez.
    Vous qui voyez ce que je fais, ne dites point ce que je fais.
    J’ai joué tout cela dans ce discours, et je n’ai point du tout été joué.

    Voilà une étrange chanson ; elle est peu digne de l’Être suprême. Ce petit cantique n’est autre chose que ce qu’on appelle du persiflage en France, et du nonsense chez nous. Il n’est point du tout prouvé que Jésus ait chanté après avoir fait la pâque ; mais il est prouvé, par tous les Évangiles, qu’il fit la pâque à la juive, et non pas à la chrétienne. Et nous dirons ici en passant ce que milord Bolingbroke insinue ailleurs, qu’on ne trouve dans la vie de Jésus-Christ aucune action, aucun dogme, aucun rite, aucun discours qui ait le moindre rapport au