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CHAPITRE XIII.


petit valet chauve, dont les sourcils se joignaient sur un nez difforme, et qui avait les jambes crochues : c’est ainsi que les Actes de Thècle le dépeignent. Dédaigné par Gamaliel et par sa fille, comme il méritait de l’être, il se joignit à la secte naissante de Céphas, de Jacques, de Matthieu, de Barnabé, pour mettre le trouble chez les Juifs.

Pour peu qu’on ait une étincelle de raison, on jugera que cette cause de l’apostasie de ce malheureux Juif est plus naturelle que celle qu’on lui attribue. Comment se persuadera-t-on qu’une lumière céleste l’ait fait tomber de cheval en plein midi, qu’une voix céleste se soit fait entendre à lui, que Dieu lui ait dit[1] : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » Ne rougit-on pas d’une telle sottise ?

Si Dieu avait voulu empêcher que les disciples de Jésus ne fussent persécutés, n’aurait-il point parlé aux princes de la nation plutôt qu’à un valet de Gamaliel ? En ont-ils moins été châtiés depuis que Saul tomba de cheval ? Saul Paul ne fut-il pas châtié lui-même ? à quoi bon ce ridicule miracle ? Je prends le ciel et la terre à témoin (s’il est permis de se servir de ces mots impropres, le ciel et la terre) qu’il n’y a jamais eu de légende plus folle, plus fanatique, plus dégoûtante, plus digne d’horreur et de mépris[2].


CHAPITRE XIII.

DES ÉVANGILES.

Dès que les sociétés de demi-juifs demi-chrétiens se furent insensiblement établies dans le bas peuple à Jérusalem, à Antioche, à Éphèse, à Corinthe, dans Alexandrie, quelque temps

  1. IX, 4.
  2. Ce qu’il faut, ce me semble, remarquer avec soin dans ce Juif Paul, c’est qu’il ne dit jamais que Jésus soit Dieu. Tous les honneurs possibles, il les lui donne, mais le mot de Dieu n’est jamais pour lui. Il a été prédestiné dans l’Épitre aux Romains, chap. I. Il veut qu’on ait la paix avec Dieu, par Jésus, chap. V. Il compte sur la grâce de Dieu par un seul homme, qui est Jésus. Il appelle ses disciples héritiers de Dieu, et cohéritiers de Jésus, même chapitre. Il n’y a qu’un seul verset dans tous les écrits de Paul où le mot de Dieu pourrait tomber sur Jésus : c’est dans cette Épitre aux Romains, V IX. Mais Érasme et Grotius ont prouvé que cet endroit est falsifié et mal interprété. En effet, il serait trop étrange que Paul, reconnaissant Jésus pour Dieu, ne lui eût donné ce nom q>u’une seule fois. C’eût été alors un blasphème.

    Pour le mot de Trinité, il ne se trouve jamais dans Paul, qui cependant est regardé comme le fondateur du christianisme. (Note de Voltaire, 1771.)