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nètrent de ce qu’ils lisent que, pour peu qu’on soit enclin à la tristesse, on est fâché d’être né, on est indigné d’être homme.

La seule chose qui puisse consoler, c’est que de telles abominations n’ont été commises que de loin à loin : n’en voilà qu’environ vingt exemples principaux dans l’espace de près de quatre mille années. Je sais que les guerres continuelles qui ont désolé la terre sont des fléaux encore plus destructeurs par leur nombre et par leur durée ; mais enfin, comme je l’ai déjà dit[1], le péril étant égal des deux côtés dans la guerre, ce tableau révolte bien moins que celui des proscriptions, qui ont été toutes faites avec lâcheté, puisqu’elles ont été faites sans danger, et que les Sylla et les Auguste n’ont été au fond que des assassins qui ont attendu des passants au coin d’un bois, et qui ont profité des dépouilles.

La guerre paraît l’état naturel de l’homme. Toutes les sociétés connues ont été en guerre, hormi les brames, et primitifs, que nous appelons quakers, et quelques autres petits peuples. Mais il faut avouer que très-peu de sociétés se sont rendues coupables de ces assassinats publics appelés proscriptions. Il n’y en a aucun exemple dans la haute antiquité, excepté chez les Juifs. Le seul roi de l’Orient qui se soit livré à ce crime est Mithridate ; et depuis Auguste il n’y a eu de proscription dans notre hémisphère que chez les chrétiens, qui occupent une très-petite partie du globe. Si cette rage avait saisi souvent le genre humain, il n’y aurait plus d’hommes sur la terre, elle ne serait habitée que par les animaux, qui sont sans contredit beaucoup moins méchants que nous. C’est à la philosophie, qui fait aujourd’hui tant de progrès, d’adoucir les mœurs des hommes ; c’est à notre siècle de réparer les crimes des siècles passés. Il est certain que, quand l’esprit de tolérance sera établi, on ne pourra plus dire :

Ætas parentum pejor avis tulit
Nos nequiores, mox daturos
Progeniem vitiosiorem.

(Hor., lib. III, od. vi, 46.)

On dira plutôt, mais en meilleurs vers que ceux-ci :

Nos aïeux ont été des monstres exécrables[2].
Nos pères ont été méchants ;
On voit aujourd’hui leurs enfants,
Étant plus éclairés, devenir plus traitables.

  1. Tome XXV, page 18.
  2. Ces vers sont de Voltaire. (B.)