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CHAPITRE X.


Somme théologique, si Dieu eut beaucoup de plaisir avec Maria, s’il répandit de la semence, et si Maria répandit aussi de sa semence[1].

Jésus devient donc un fils de Dieu et d’une Juive, non encore Dieu lui-même, mais une créature supérieure. Il fait des miracles. Le premier qu’il opère, c’est de se faire emporter par le diable[2] sur le haut d’une montagne de Judée, d’où l’on découvre tous les royaumes de la terre. Ses vêtements paraissent tout blancs[3] ; quel miracle ! il change l’eau en vin[4] dans un repas où tous les convives étaient déjà ivres[5]. Il fait sécher un figuier[6] qui ne lui a pas donné de figues à son déjeuner à la fin de février ; et l’auteur de ce conte a l’honnêteté du moins de remarquer que ce n’était pas le temps des figues.

Il va souper chez des filles[7], et puis chez les douaniers ; et cependant, on prétend, dans son histoire, qu’il regarde ces douaniers, ces publicains, comme des gens abominables[8]. Il entre dans le temple[9], c’est-à-dire dans cette grande enceinte où demeuraient les prêtres, dans cette cour où de petits marchands étaient autorisés par la loi à vendre des poules, des pigeons, des agneaux, à ceux qui venaient sacrifier. Il prend un grand fouet, en donne sur les épaules de tous les marchands, les chasse à coups de lanières, eux, leurs poules, leurs pigeons, leurs moutons, et leurs bœufs même, jette tout leur argent par terre, et on le laisse faire ! Et si l’on en croit le livre attribué à Jean, on se contente de lui demander un miracle[10] pour prouver qu’il a droit de faire un pareil tapage dans un lieu si respectable.

  1. Voyez tome XXIV, page 99.
  2. Matth., IV, 8 ; Luc, iv, 5.
  3. Matth., XVII, 2 ; Marc, ix, 2.
  4. Jean, ii, 9.
  5. Il est difficile de dire quel est le plus ridicule de tous ces prétendus prodiges. Bien des gens tiennent pour le vin de la noce de Cana. Que Dieu dise à sa mère juive [Jean, ii, 4] : Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi ? c’est déjà une étrange chose ; mais que Dieu boive et mange avec des ivrognes, et qu’il change six cruches d’eau en six cruches de vin pour ces ivrognes, qui n’avaient déjà que trop bu, quel blasphème aussi exécrable qu’impertinent ! L’hébreu se sert d’un mot qui répond au mot grisés ; la Vulgate, au chapitre ii, v. 10, dit inebriati, enivrés.

    Saint Chrysostome, bouche d’or, assure que ce fut le meilleur vin qu’on eût jamais bu ; et plusieurs Pères de l’Église ont prétendu que ce vin signifiait le sang de Jésus-Christ dans l’Eucharistie. Ô folie de la superstition, dans quel abîme d’extravagances nous avez-vous plongés ! (Note de Voltaire, 1771.)

  6. Matth., XI, 19 ; Marc, XI, 13.
  7. Jean, XII, 2.
  8. Matth., XVIII, 17.
  9. Jean, II, 15-18.
  10. Jean, II, 19, 20.