Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/218

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
208
CHAPITRE V.


faire. « C’est un enfant, lui dit-il, qui n’y a pas entendu malice. Pour vous prouver combien il est simple, montrez-lui une escarboucle et un charbon ardent, vous verrez qu’il choisira le charbon. » Le roi en fit l’expérience ; le petit Moïse ne manqua pas de choisir l’escarboucle ; mais l’ange Gabriel l’escamota, et mit le charbon ardent à la place ; le petit Moïse se brûla la main jusqu’aux os. Le roi lui pardonna, le croyant un sot. Ainsi Moïse, ayant été sauvé par l’eau, fut encore une fois sauvé par le feu.

Tout le reste de l’histoire est sur le même ton. Il est difficile de décider lequel est le plus admirable de cette fable de Moïse, ou de la fable du Pentateuque. Je laisse cette question à ceux qui ont plus de temps à perdre que moi. Mais j’admire surtout les pédants, comme Grotius, Abbadie, et même cet abbé Houteville[1], longtemps entremetteur d’un fermier général à Paris, ensuite secrétaire de ce fameux cardinal Dubois, à qui j’ai entendu dire qu’il défiait tous les cardinaux d’être plus athées que lui. Tous ces gens-là se distillent le cerveau pour faire accroire (ce qu’ils ne croient point) que le Pentateuque est de Moïse. Eh ! mes amis, que prouveriez-vous là ? que Moïse était un fou. Il est bien sûr que je ferais enfermer à Bedlam[2] un homme qui écrirait aujourd’hui de pareilles extravagances.


CHAPITRE V[3].
QUE LES JUIFS ONT TOUT PRIS DES AUTRES NATIONS.

On l’a déjà dit souvent, c’est le petit peuple asservi qui tâche d’imiter ses maîtres ; c’est la nation faible et grossière qui se conforme grossièrement aux usages de la grande nation[4]. C’est Cornouailles qui est le singe de Londres, et non pas Londres qui est le singe de Cornouailles. Est-il rien de plus naturel que les Juifs aient pris ce qu’ils ont pu du culte, des lois, des coutumes de leurs voisins ?

Nous sommes déjà certains que leur dieu prononcé par nous Jéhovah, et par eux Jaho, était le nom ineffable du dieu des Phéniciens et des Égyptiens ; c’était une chose connue dans l’antiquité. Clément d’Alexandrie, au premier livre de ses Stromates,

  1. Voyez tome XXIII, page 32.
  2. Bedlam, la maison des fous à Londres. (Note de Voltaire, 1767.)
  3. Addition de 1767 ; voyez la note, page 195.
  4. Voyez t. XI, page 41 ; XX, 98, à la note.