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DE LA PERSONNE DE MOÏSE.


N’est-il pas de la plus grande vraisemblance que les Juifs adoptèrent cette fable, et qu’ensuite ils récrivirent quand ils commencèrent à avoir quelque connaissance des lettres sous leurs rois ? Il leur fallait du merveilleux comme aux autres peuples ; mais ils n’étaient pas inventeurs : jamais plus petite nation ne fut plus grossière ; tous leurs mensonges étaient des plagiats, comme toutes leurs cérémonies étaient visiblement une imitation des Phéniciens, des Syriens, et des Égyptiens.

Ce qu’ils ont ajouté d’eux-mêmes paraît d’une grossièreté et d’une absurdité si révoltante qu’elle excite l’indignation et la pitié. Dans quel ridicule roman souffrirait-on un homme qui change toutes les eaux en sang, d’un coup de baguette, au nom d’un dieu inconnu, et des magiciens qui en font autant au nom des dieux du pays. La seule supériorité qu’ait Moïse sur les sorciers du roi, c’est qu’il fit naître des poux, ce que les sorciers ne purent faire : sur quoi un grand prince[1] a dit que les Juifs, en fait de poux, en savaient plus que tous les magiciens du monde.

Comment un ange du Seigneur vient-il tuer tous les animaux d’Égypte ? Et comment, après cela, le roi d’Égypte a-t-il une armée de cavalerie ? Et comment cette cavalerie entre-t-elle dans le fond de la mer Rouge ?

Comment le même ange du Seigneur vient-il couper le cou pendant la nuit à tous les aînés des familles égyptiennes ? C’était bien alors que le prétendu Moïse devait s’emparer de ce beau pays, au lieu de s’enfuir en lâche et en coquin avec deux ou trois millions d’hommes parmi lesquels il avait, dit-on, six cent trente mille combattants. C’est avec cette prodigieuse multitude qu’il fuit devant les cadets de ceux que l’ange avait tués. Il s’en va errer dans les déserts, où l’on ne trouve pas seulement de l’eau à boire, et, pour lui faciliter cette belle expédition, son dieu divise les eaux de la mer, en fait deux montagnes à droite et à gauche, afin que son peuple favori aille mourir de faim et de soif.

Tout le reste de l’histoire de Moïse est également absurde et barbare. Ses cailles, sa manne, ses entretiens avec Dieu ; vingt-trois mille hommes de son peuple égorgés à son ordre par des prêtres ; vingt-quatre mille massacrés une autre fois ; six cent trente mille combattants dans un désert où il n’y a jamais eu deux

  1. Frédéric II, auquel Voltaire (voyez tome XXIV, page 437) voulait faire attribuer le Sermon des cinquante, où se trouve (voyez tome XXIV, page 446) ce que Voltaire rapporte ici. Il est possible, au reste, que l’idée soit de Frédéric.