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DE LA PERSONNE DE MOÏSE.


un prédicant mort fou en Irlande, plutôt qu’à Newton, le plus grand homme qui ait jamais été ?

De plus, je demande à tout homme raisonnable s’il y a quelque vraisemblance que Moïse eût donné dans le désert des préceptes aux rois juifs, qui ne vinrent que tant de siècles après lui, et s’il est possible que, dans ce même désert, il eût assigné[1] quarante-huit villes avec leurs faubourgs pour la seule tribu des lévites, indépendamment des décimes que les autres tribus devaient leur payer[2] ? Il est sans doute très-naturel que des prêtres aient tâché d’engloutir tout ; mais il ne l’est pas qu’on leur ait donné quarante-huit villes dans un petit canton où il y avait à peine alors deux villages : il eût fallu au moins autant de villes pour chacune des autres hordes juives ; le total aurait monté à quatre cent quatre-vingts villes avec leurs faubourgs. Les Juifs n’ont pas écrit autrement leur histoire. Chaque trait est une hyperbole ridicule, un mensonge grossier, une fable absurde[3].


CHAPITRE II.
DE LA PERSONNE DE MOÏSE[4].

Y a-t-il eu un Moïse ? Tout est si prodigieux en lui depuis sa naissance jusqu’à sa mort qu’il paraît un personnage fantastique,

  1. Deutéronome, chap. xiv. (Note de Voltaire.)
  2. Nombres, chap. xxxv, verset 7. (Id.)
  3. Milord Bolingbroke s’est contenté d’un petit nombre de ces preuves ; s’il avait voulu, il en aurait rapporté plus de deux cents. Une des plus fortes, à notre avis, qui font voir que les livres qu’on prétend écrits du temps de Moïse et de Josué sont écrits en effet du temps des rois, c’est que le même livre est cité dans l’histoire de Josué, et dans celle des rois juifs. Ce livre est celui que nous appelons le Droiturier, et que les papistes appellent l’Histoire des Justes, ou le Livre du Roi.

    Quand l’auteur du Josué parle du soleil qui s’arrêta sur Gabaon, et de la lune qui s’arrêta sur Aïalon en plein midi, il cite ce Livre des Justes. (Josué, chap. x, verset 13.)

    Quand l’auteur des chroniques ou des Livres des Rois parle du cantique composé par David sur la mort de Saül et de son fils Jonathas, il cite encore ce Livre des Justes. (Rois, livre II, chapitre i, verset 18.) Or, s’il vous plaît, comment le même livre peut-il avoir été écrit dans le temps qui touchait à Moïse, et dans le temps de David ? Cette horrible bévue n’avait point échappé au lord Bolingbroke ; il en parle ailleurs. C’est un plaisir de voir l’embarras de cet innocent de dom Calmet, qui cherche en vain à pallier une telle absurdité. (Note de Voltaire, 1771.) — Le mot ailleurs, employé dans l’avant-dernière phrase de cette note, désigne probablement le chapitre xv de Dieu et les Hommes, ouvrage qui est de 1769, et conséquemment antérieur à cette note. (B.)

  4. Voyez t. XX, page 95 ; et les chapitres xxii à xxvii de Dieu et les Hommes.