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AVANT-PROPOS.


comme notre corps ; nous les abandonnons souvent l’un et l’autre pour quelque argent à des charlatans. La populace meurt, en Espagne, entre les mains d’un vil moine et d’un empirique ; et la nôtre, à peu près de même[1]. Un vicaire, un dissenter, assiégent leurs derniers moments.

Un très-petit nombre d’hommes examine ; mais l’esprit de parti, l’envie de se faire valoir les préoccupe. Un grand homme[2], parmi nous, n’a été chrétien que parce qu’il était ennemi de Collins ; notre Whiston[3] n’était chrétien que parce qu’il était arien. Grotius ne voulait que confondre les gomaristes. Bossuet soutint le papisme contre Claude, qui combattait pour la secte calviniste. Dans les premiers siècles, les ariens combattaient contre les athanasiens. L’empereur Julien et son parti combattaient contre ces deux sectes ; et le reste de la terre contre les chrétiens, qui disputaient avec les juifs. À qui croire ? il faut donc examiner : c’est un devoir que personne ne révoque en doute. Un homme qui reçoit sa religion sans examen ne diffère pas d’un bœuf qu’on attelle.

Cette multitude prodigieuse de sectes dans le christianisme forme déjà une grande présomption que toutes sont des systèmes d’erreur. L’homme sage se dit à lui-même : Si Dieu avait voulu me faire connaître son culte, c’est que ce culte serait nécessaire à notre espèce. S’il était nécessaire, il nous l’aurait donné à tous lui-même, comme il a donné à tous deux yeux et une bouche. Il serait partout uniforme, puisque les choses nécessaires à tous les

  1. Non ; milord Bolingbroke va trop loin : on vit et on meurt comme on veut chez nous. Il n’y a que les lâches et les superstitieux qui envoient chercher un prêtre. Et ce prêtre se moque d’eux. Il sait bien qu’il n’est pas ambassadeur de Dieu auprès des moribonds.

    Mais, dans les pays papistes, il faut qu’au troisième accès de fièvre on vienne vous effrayer en cérémonie, qu’on déploie devant vous tout l’attirail d’une extrême-onction et tous les étendards de la mort. On vous apporte le Dieu des papistes escorté de six flambeaux. Tous les gueux ont le droit d’entrer dans votre chambre ; plus on met d’appareil à cette pompe lugubre, plus le bas clergé y gagne. Il vous prononce votre sentence, et va boire au cabaret les épices du procès. Les esprits faibles sont si frappés de l’horreur de cette cérémonie que plusieurs en meurent. Je sais que M. Falconet, un des médecins du roi de France, ayant vu une de ses malades tourner à la mort au seul spectacle de son extrême-onction, déclara au roi qu’il ne ferait jamais plus administrer les sacrements à personne. (Note de Voltaire, 1771.)

  2. Je crois que Voltaire veut ici parler de Samuel Clarke (né en 1675, mort en 1729), qui a publié une réfutation de l’ouvrage de Collins sur la liberté de l’homme. (B.)
  3. Guillaume Whiston, né en 1667, mort en 1752. Il vivait encore à la date où l’Examen important est censé avoir été composé.