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ordinaire ; car les templiers furent condamnés par des commissaires que le pape avait nommés, et c’est en cela que le massacre de Mérindol porte un caractère plus affreux que les autres. Le crime est plus grand quand il est commis par ceux qui sont établis pour réprimer les crimes et pour protéger l’innocence.

Un avocat général du parlement d’Aix, nommé Guérin, fut le premier auteur de cette boucherie. « C’était, dit l’historien César Nostradamus, un homme noir ainsi de corps que d’âme, autant froid orateur que persécuteur ardent et calomniateur effronté. » Il commença par dénoncer, en 1540, dix-neuf personnes au hasard comme hérétiques. Il y avait alors un violent parti dans le parlement d’Aix, qu’on appelait les brûleurs. Le président d’Oppède était à la tête de ce parti. Les dix-neuf accusés furent condamnés à mort sans être entendus ; et, dans ce nombre, il se trouva quatre femmes et cinq enfants qui s’enfuirent dans des cavernes.

Il y avait alors, à la honte de la nation, un inquisiteur de la foi en Provence ; il se nommait frère Jean de Rome. Ce malheureux, accompagné de satellites, allait souvent dans Mérindol et dans les villages d’alentour ; il entrait inopinément et de nuit dans les maisons où il était averti qu’il y avait un peu d’argent ; il déclarait le père, la mère, et les enfants, hérétiques, leur donnait la question, prenait l’argent, et violait les filles. Vous trouverez une partie des crimes de ce scélérat dans le fameux plaidoyer d’Aubry, et vous remarquerez qu’il ne fut puni que par la prison.

Ce fut cet inquisiteur qui, n’ayant pu entrer chez les dix-neuf accusés, les avait fait dénoncer au parlement par l’avocat général Guérin, quoiqu’il prétendît être le seul juge du crime d’hérésie. Guérin et lui soutinrent que dix-huit villages étaient infectés de cette peste. Les dix-neuf citoyens échappés devaient, selon eux, faire révolter tout le canton. Le président d’Oppède, trompé par une information frauduleuse de Guérin, demanda au roi des troupes pour appuyer la recherche et la punition des dix-neuf prétendus coupables. François Ier, trompé à son tour, accorda enfin les troupes. Le vice-légat d’Avignon y joignit quelques soldats. Enfin, en 1544, d’Oppède et Guérin à leur tête mirent le feu à tous les villages : tout fut tué, et Aubry rapporte dans son plaidoyer que plusieurs soldats assouvirent leur brutalité sur les femmes et sur les filles expirantes qui palpitaient encore. C’est ainsi qu’on servait la religion.

Quiconque a lu l’histoire sait assez qu’on fit justice ; que le parlement de Paris fit pendre l’avocat général, et que le président