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VINGT-TROISIÈME HONNÊTETÉ.
DES PLUS FORTES.

Un ex-jésuite, nommé Patouillet (déjà célébré dans cette diatribe[1]), homme doux et pacifique, décrété de prise de corps à Paris pour un libelle très-profond contre le parlement, se réfugie à Auch, chez l’archevêque, avec un de ses confrères. Tous deux fabriquent une pastorale en 1764, et séduisent l’archevêque jusqu’à lui faire signer de son nom J.-F. cet écrit apostolique qui attaque tous les parlements du royaume ; et voici surtout comme la pastorale s’explique sur eux, page 48 : « Ces ennemis des deux puissances mille fois abattus par leur concert, toujours relevés par de sourdes intrigues, toujours animés de la rage la plus noire, etc. » Il n’y a presque point de page où ces deux jésuites n’exhalent contre les parlements une rage qui paraît d’un noir plus foncé. Ce libelle diffamatoire a été condamné, à la vérité, à être brûlé par la main du bourreau[2] ; on a recherché les auteurs, mais ils ont échappé à la justice humaine.

Il faut savoir que ces deux faiseurs de pastorales s’étaient imaginé qu’un officier de la maison du roi[3], très-vieux et très-malade, retiré depuis treize ans dans ses terres, avait contribué du coin de son feu à la destruction des jésuites. La chose n’était pas fort vraisemblable, mais ils la crurent, et ils ne manquèrent pas de dire dans le mandement, selon l’usage ordinaire, que ce malin vieillard était déiste et athée ; que c’était un vagabond, qui à la vérité ne sortait guère de son lit, mais que dans le fond il aimait à courir ; que c’était un vil mercenaire, qui mariait plusieurs filles de son bien, mais qui avait gagné depuis douze ans quatre cent mille francs avec les éditeurs auxquels il a donné ses ouvrages, et avec les comédiens de Paris, auxquels il a abandonné le profit entier mammonæ iniquitatis.

Enfin monsieur J.-F. d’Auch traita ce seigneur de plusieurs paroisses, qui sont assez loin de son diocèse, et très-bien gouvernées, comme le plus vil des hommes, comme s’il était à ses yeux membre d’un parlement. Un parent de l’archevêque, auquel cet officier du roi daignait prêter de l’argent dans ce temps-là même, écrivit à monsieur d’Auch qu’il s’était laissé surprendre, qu’il se

  1. Voyez pages 151 et 153.
  2. Voyez tome XXV, page 409.
  3. Voltaire lui-même.