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Qui croirait qu’un gredin ait imprimé en 1752, dans un livre intitulé Mes Pensées[1], les mots que voici, et qu’il croyait dans le vrai goût de Montesquieu ?

« Une république qui ne serait formée que de scélérats du premier ordre produirait bientôt un peuple de sages, de conquérants et de héros. Une république fondée par Cartouche aurait eu de plus sages lois que la république de Solon.

« La mort de Charles Ier a fait plus de bien à l’Angleterre que n’en aurait fait le règne le plus glorieux de ce prince.

« Les forfaits de Cromwell sont si beaux que l’enfant bien né n’entend point prononcer le nom de ce grand homme sans joindre les mains d’admiration. »

Ces pensées ont été pourtant réimprimées, et l’auteur, à la seconde édition, mettait au titre septième édition, pour encourager à lire son livre. Il le dédiait à son frère. Il signait Gonia Palaios. Gonia signifie angle ; Palaios, vieux. Son nom en effet est l’Angle-vieux[2]. Il s’est fait appeler La Beaumelle. C’est lui qui a falsifié les Lettres de madame de Maintenon, et qui a rempli les Mémoires de Maintenon de contes absurdes et des anecdotes les plus fausses.

DIX-SEPTIÈME HONNÊTETÉ.

On connaît l’histoire du Siècle de Louis XIV. Tout impartial qu’est ce livre, il est consacré à la gloire de la nation française, et à celle des arts, et c’est même parce qu’il est impartial qu’il affermit cette gloire. Il a été bien reçu chez tous les peuples de l’Europe, parce qu’on aime partout la vérité. Louis XV, qui a daigné le lire plus d’une fois, en a marqué publiquement sa satisfaction. Je ne parle pas du style, qui sans doute ne vaut rien ; je parle des faits.

Ce même La Beaumelle, dont il a bien fallu déjà faire mention, ci-devant précepteur du fils d’un gentilhomme[3] qui a vendu Ferney à l’auteur du Siècle de Louis XIV ; chassé de la maison de ce gentilhomme, réfugié en Danemark ; chassé du Danemark, réfugié à Berlin ; chassé de Berlin, réfugié à Gotha ; chassé de Gotha, réfugié à Francfort : cet homme, dis-je, s’avise de faire à Francfort l’action du monde la plus honorable à la littérature.

Il vend pour dix-sept louis d’or[4] au libraire Eslinger une édi-

  1. Voyez tome XV, page 100.
  2. Angliviel
  3. Budé de Boisy.
  4. Voyez tome XV, page 100