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rible homme que ce Jean-Jacques ! il prétend, dans je ne sais quel roman intitulé Héloïse ou Aloïsia[1], s’être battu contre un seigneur anglais de la chambre haute, dont il reçut ensuite l’aumône. Il a fait, on le sait, des miracles à Venise ; mais il ne fallait pas calomnier les gens de lettres à Paris. Il y a de ces gens de lettres qui n’attaquent jamais personne, mais qui font une guerre bien vive quand ils sont attaqués, et Dieu est toujours pour la bonne cause. Un des offensés s’amusa à le dessiner par les coups de crayon que voici :

Cet ennemi du genre humain,
Singe manqué de l’Arétin,
Qui se croit celui de Socrate ;
Ce charlatan trompeur et vain,
Changeant vingt fois son mithridate ;
Ce basset hargneux et mutin,
Bâtard du chien de Diogène,
Mordant également la main
Ou qui le fesse, ou qui l’enchaîne,
Ou qui lui présente du pain.

Les honnêtetés de Jean-Jacques lui ont attiré, comme on le voit, de très-grandes honnêtetés. Il y a de la justice dans le monde, et, pour peu que vous soyez poli, vous trouvez à coup sûr des gens fort polis qui ne sont pas en reste avec vous. Cela compose une société charmante.


QUINZIÈME HONNÊTETÉ.

Une honnêteté nouvelle, et dont on ne s’était pas encore avisé dans la littérature, c’est d’imprimer des lettres sous le nom d’un auteur connu, ou de falsifier celles qui ont couru dans le monde par la trop grande facilité de quelques amis, et d’insérer dans ces lettres les plus énormes platitudes avec les calomnies les plus insolentes. C’est ainsi qu’en dernier lieu on a imprimé à Amsterdam, sous le titre de Genève, de prétendues Lettres secrètes[2] de l’auteur de la Henriade ; lesquelles lettres, si elles étaient secrètes, ne devaient pas être publiques. Il y a surtout dans ces Lettres secrètes un correspondant nommé le comte de Bar-sur-Aube, qui est un homme sûr ; mais, comme il n’y a jamais eu de comte

  1. Voyez tome XXIV, page 165.
  2. Voyez l’Appel au public, tome XXV page 579.