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TREIZIÈME HONNÊTETÉ.

Les folliculaires ont eu d’aussi étranges honnêtetés pour M. de Montesquieu et pour M. de Buffon. On a écrit contre l’un des lettres du Pérou[1], qui n’ont pas dû être un Pérou pour l’auteur. On a prouvé à l’autre qu’il était déiste ou athée, cela est égal, parce qu’il avait loué les stoïciens ; et on l’a prouvé tout comme le révérend père Hardouin, de la Société de Jésus, avait démontré que Pascal, Nicole, Arnauld, et Malebranche[2], n’ont jamais cru en Dieu.

Qui méprise Colin n’estime point son roi[3],
Et n’a, selon Colin, ni dieu, ni foi, ni loi.


QUATORZIÈME HONNÊTETÉ.

En voici une d’un goût nouveau : Jean-Jacques Rousseau, qui ne passe ni pour le plus judicieux, ni pour le plus conséquent des hommes, ni pour le plus modeste, ni pour le plus reconnaissant, est mené en Angleterre par un protecteur[4] qui épuise son crédit pour lui faire obtenir une pension secrète du roi. Jean-Jacques trouve la pension secrète un affront. Aussitôt il écrit une lettre[5], dans laquelle il sacrifie l’éloquence et le goût à son ressentiment contre son bienfaiteur. Il pousse trois arguments contre ce bienfaiteur, M. Hume, et à chaque argument il finit par ces mots : « Premier soufflet, second soufflet, troisième soufflet sur la joue de mon patron. » Ah ! Jean-Jacques ! trois soufflets pour une pension ! c’est trop !

Tudieu, l’ami, sans nous rien dire,
Comme vous baillez des soufflets !

(Amphitryon, acte i, scène ii.)

Un Genevois qui donne trois soufflets à un Écossais ! Cela fait trembler pour les suites. Si le roi d’Angleterre avait donné la pension, Sa Majesté aurait eu le quatrième soufflet. C’est un ter-

  1. Voltaire veut sans doute parler des Lettres à un Américain sur l’histoire naturelle de Buffon (par l’abbé de Lignac), 1751. Ces Lettres sont au nombre de douze ; voyez les Cinq Années littéraires, de Clément, à la date du 15 mai 1752. (B.)
  2. Voyez tome XVII, page 472.
  3. Boileau, satire ix, vers 305-6.
  4. Hume ; voyez, ci-devant, la lettre que Voltaire lui adressa le 24 octobre 1766.
  5. La lettre de Rousseau est du 10 juillet 1766.