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volant dans la poche. Ce n’est pas ainsi que Molière a peint Trissotin et Vadius. On me dira que des galériens du temps du roi Charles VII, condamnés pour crime de faux, ayant obtenu leur grâce de leur bon roi, lui volèrent tout son bagage, comme il est rapporté dans l’abbé Trithême[1], page 329[2] ; mais on m’avouera que ceux qui font aujourd’hui honneur à la littérature française ne sont point des coupeurs de bourses, et que d’ailleurs ce trait n’est pas assez plaisant.


DOUZIÈME HONNÊTETÉ.

Des folliculaires à la petite semaine ont imprimé que M. d’Alembert est un Rabzacès, un Philistin, un Amorrhéen, une bête puante : je ne sais pas précisément pourquoi ; mais Rabzacès signifie grand échanson en syriaque. Or M. d’Alembert n’est pas un grand échanson, c’est même l’homme du monde qui verse le moins à boire. Il ne peut être à la fois Rabzacès, Syrien, Philistin ou Amorrhéen ; il n’est ni bête ni puant ; je sais seulement qu’il est un des plus grands géomètres, un des plus beaux esprits et une des plus belles âmes de l’Europe : ce qu’on n’a jamais dit de Rabzacès.

  1. Tout est parti. La horde griffonnante
    Sous le drapeau du gazetier de Nante
    D’une main prompte et d’un zèle empressé
    Pendant la nuit avait débarrassé
    Notre bon roi de son leste équipage.
    Ils prétendaient que pour de vrais guerriers,
    Selon Platon, le luxe est peu d’usage.
    Puis s’esquivant par de petits sentiers,
    Au cabaret la proie ils partagèrent.
    Là par écrit doctement ils couchèrent
    Un beau traité, bien moral, bien chrétien,
    Sur le mépris des plaisirs et du bien.
    On y prouva que les hommes sont frères,
    Nés tous égaux, devant tous partager
    Les dons de Dieu, les humaines misères,
    Vivre en commun pour se mieux soulager.
    Ce livre saint, mis depuis en lumière,
    Fut enrichi d’un pieux commentaire
    Pour diriger et l’esprit et le cœur,
    Avec préface et l’avis au lecteur.

    (Note de Voltaire.)
  2. Cette indication de page est une plaisanterie de Voltaire, qui (dans sa Pucelle, chant XX, vers 30), dit :

    Ce n’est pas moi, c’est le sage Trithême,
    Ce digne abbé, qui vous parle lui-même.

    Le passage rapporté par Voltaire lui-même, dans la note précédente, fait aujourd’hui partie du dix-huitième chant, vers 272 et suivants. Il n’était pas dans l’édition de 1762 de la Pucelle : mais il avait été publié, en 1764, dans le volume intitulé Contes de Guillaume Vadé. (B.)