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bon français et avec grâce le livre latin[1] très-savant, mais un peu pesant, de Van Dale ; c’est que les RR. PP. Lallemant et Doucin, de la Société de Jésus, firent dire à M. de Fontenelle, par M. l’abbé de Tilladet, que s’il répondait on le mettrait à la Bastille ; c’est que, plus de vingt ans après, le R. P. Le Tellier persécuta Fontenelle, qu’il accusa d’avoir engagé Dumarsais à répondre[2] ; c’est que Dumarsais était perdu sans le président de Maisons, et Fontenelle sans M. d’Argenson, comme on l’a déjà dit ailleurs[3] et comme Fontenelle le fait entendre lui-même dans le bel éloge de M. d’Argenson le garde des sceaux[4].

Mais à présent que le R. P. Le Tellier ne distribue plus de lettres de cachet, je pose qu’il n’est pas absolument défendu à un barbouilleur de papier, soit mauvais poète, soit plat prosateur, du nombre desquels j’ai l’honneur d’être, d’exposer les petites erreurs dans lesquelles des gens de bien sont depuis peu tombés, soit en inventant, soit en rapportant des calomnies absurdes, soit en falsifiant des écrits, soit en contrefaisant le style et jusqu’au nom de leurs confrères qu’ils ont voulu perdre ; soit en les accusant d’hérésie, de déisme, d’athéisme, à propos d’une recherche d’anatomie, ou de quelques vers de cinq pieds, ou de quelque point de géographie, M. Jean-George Lefranc, évêque du Puy, dit, par exemple, dans une pastorale, à la page 6, « qu’on s’est armé contre le christianisme dans la grammaire ». On n’avait pas encore entendu dire que le substantif et l’adjectif, quand ils s’accordent en genre, en nombre et en cas, conduisent droit à nier l’existence de Dieu.

Je vais, pour l’édification du public, rassembler, preuves en main, quelques tours de passe-passe dans ce goût, qui ont illustré en dernier lieu la littérature. Ce petit morceau pourra être utile à ceux qui entrent dans la carrière heureuse des lettres. C’est un compendium de traits d’érudition, de droiture, et de cha-

  1. Ant. Van Dale M. D. de Oraculis ethnicorum dissertationes duœ ; Amsterdam, 1683, in-12.
  2. Voyez la page 101 de l’excellent ouvrage intitulé la Destruction des jésuites, livre écrit du style des Provinciales, mais avec plus d’impartialité. Voici comme l’auteur très-instruit s’exprime : « Dans le même temps que Le Tellier persécutait les jansénistes, il déférait Fontenelle à Louis XIV comme un athée, pour avoir fait l’Histoire des Oracles. » (Note de Voltaire.) — Ouvrage anonyme de d’Alembert ; le titre est : Sur la Destruction des jésuites en France, par un auteur désintéressé.
  3. Tome XIV, page 74.
  4. M. Jean-George Lefranc, évêque du Puy en Velay, a renouvelé cette accusation dans une pastorale qui ne vaut pas les pastorales de Fontenelle. (Note de Voltaire.) — Voyme XXV, page 1.