Mais, environ dans ce temps-là même, Sylla et Marius exercèrent sur leurs compatriotes la même fureur qu’ils éprouvaient en Asie. Marius commença les proscriptions, et Sylla le surpassa. La raison humaine est confondue quand elle veut juger les Romains. On ne conçoit pas comment un peuple chez qui tout était à l’enchère, et dont la moitié égorgeait l’autre, pût être dans ce temps-là même le vainqueur de tous les rois. Il y eut une horrible anarchie depuis les proscriptions de Sylla jusqu’à la bataille d’Actium ; et ce fut pourtant alors que Rome conquit les Gaules, l’Espagne, l’Égypte, la Syrie, toute l’Asie Mineure, et la Grèce.
Comment expliquerons-nous ce nombre prodigieux de déclamations qui nous restent sur la décadence de Rome dans ces temps sanguinaires et illustres ? Tout est perdu, disent vingt auteurs latins ; « Rome tombe par ses propres forces[1], le luxe a vengé l’univers[2]. » Tout cela ne veut dire autre chose, sinon que la liberté publique n’existait plus ; mais la puissance subsistait ; elle était entre les mains de cinq ou six généraux d’armée ; et le citoyen romain, qui avait jusque-là vaincu pour lui-même, ne combattait plus que pour quelques usurpateurs.
La dernière proscription fut celle d’Antoine, d’Octave, et de Lépide ; elle ne fut pas plus sanguinaire que celle de Sylla.
Quelque horrible que fût le règne des Caligula et des Néron, on ne voit point de proscriptions sous leur empire ; il n’y en eut point dans les guerres des Galba, des Othon, des Vitellius.
Les Juifs seuls renouvelèrent ce crime sous Trajan. Ce prince humain les traitait avec bonté. Il y en avait un très-grand nombre dans l’Égypte et dans la province de Cyrène. La moitié de l’île de Chypre était peuplée de Juifs. Un nommé André, qui se donna pour un messie, pour un libérateur des Juifs, ranima leur exécrable enthousiasme qui paraissait assoupi. Il leur persuada qu’ils seraient agréables au Seigneur, et qu’ils rentreraient tous enfin