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LE PHILOSOPHE IGNORANT.


dogme, mais certes il n’erra pas sur la morale. En un mot, nul philosophe dans l’antiquité qui n’ait voulu rendre les hommes meilleurs.

Il y a eu des gens parmi nous qui ont dit que toutes les vertus de ces grands hommes n’étaient que des péchés illustres[1]. Puisse la terre être couverte de tels coupables !


XLVI. — Philosophie et vertu.

Il y eut des sophistes qui furent aux philosophes ce que les singes sont aux hommes. Lucien se moqua d’eux ; on les méprisa : ils furent à peu près ce qu’ont été les moines mendiants dans les universités. Mais n’oublions jamais que tous les philosophes ont donné de grands exemples de vertu, et que les sophistes, et même les moines, ont tous respecté la vertu dans leurs écrits.


XLVII. — D’Ésope.

Je placerai Ésope parmi ces grands hommes, et même à la tête de ces grands hommes, soit qu’il ait été le Pilpai des Indiens, ou l’ancien précurseur de Pilpai, ou le Lokman des Perses, ou le Hakym des Arabes, ou le Hakam des Phéniciens, il n’importe ; je vois que ses fables ont été en vogue chez toutes les nations orientales, et que l’origine s’en perd dans une antiquité dont on ne peut sonder l’abîme. À quoi tendent ces fables aussi profondes qu’ingénues, ces apologues qui semblent visiblement écrits dans un temps où l’on ne doutait pas que les bêtes n’eussent un langage ? Elles ont enseigné presque tout notre hémisphère. Ce ne sont point des recueils de sentences fastidieuses, qui lassent plus qu’elles n’éclairent ; c’est la vérité elle-même avec le charme de la fable. Tout ce qu’on a pu faire, c’est d’y ajouter des embellissements dans nos langues modernes. Cette ancienne sagesse est simple et nue dans le premier auteur. Les grâces naïves dont on l’a ornée en France n’en ont point caché le fond respectable. Que nous apprennent toutes ces fables ? Qu’il faut être juste.


XLVIII. — De la paix née de la philosophie.

Puisque tous les philosophes avaient des dogmes différents, il est clair que le dogme et la vertu sont d’une nature entièrement

  1. Peccata splendida, dit saint Augustin ; voyez tome XVIII, page 74, et XXV, page 434.