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LE PHILOSOPHE IGNORANT.


nous a conservé tout entier, découvre une âme tranquille et juste ; il affranchit les esclaves qu’il croit avoir mérité cette grâce ; il recommande à ses exécuteurs testamentaires de donner la liberté à ceux qui s’en rendront dignes. Point d’ostentation, point d’injuste préférence ; c’est la dernière volonté d’un homme qui n’en a jamais eu que de raisonnables. Seul de tous les philosophes, il eut pour amis tous ses disciples, et sa secte fut la seule où l’on sut aimer, et qui ne se partagea point en plusieurs autres.

Il paraît, après avoir examiné sa doctrine et ce qu’on a écrit pour et contre lui, que tout se réduit à la dispute entre Malebranche et Arnauld. Malebranche avouait que le plaisir rend heureux, Arnauld le niait ; c’était une dispute de mots, comme tant d’autres disputes où la philosophie et la théologie apportent leur incertitude, chacune de son côté.


XLV. — Des stoïciens.

Si les épicuriens rendirent la nature humaine aimable, les stoïciens la rendirent presque divine. Résignation à l’Être des êtres, ou plutôt élévation de l’âme jusqu’à cet Être ; mépris du plaisir, mépris même de la douleur, mépris de la vie et de la mort, inflexibilité dans la justice : tel était le caractère des vrais stoïciens, et tout ce qu’on a pu dire contre eux, c’est qu’ils décourageaient le reste des hommes.

Socrate, qui n’était pas de leur secte, fit voir qu’on pouvait pousser la vertu aussi loin qu’eux sans être d’aucun parti ; et la mort de ce martyr de la Divinité est l’éternel opprobre d’Athènes, quoiqu’elle s’en soit repentie.

Le stoïcien Caton est, d’un autre côté, l’éternel honneur de Rome. Épictète, dans l’esclavage, est peut-être supérieur à Caton, en ce qu’il est toujours content de sa misère. « Je suis, dit-il, dans la place où la Providence a voulu que je fusse : m’en plaindre, c’est l’offenser. »

Dirai-je que l’empereur Antonin est encore au-dessus d’Épictète, parce qu’il triompha de plus de séductions, et qu’il était bien plus difficile à un empereur de ne se pas corrompre qu’à un pauvre de ne pas murmurer ? Lisez les Pensées de l’un et de l’autre, l’empereur et l’esclave vous paraîtront également grands.

Oserai-je parler ici de l’empereur Julien[1] ? Il erra sur le

  1. Voyez tome XVII, page 316 ; tome XIX, page 541 ; et, plus loin, le Portrait de l’empereur Julien, en tête du Discours de l’empereur Julien.