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ABUS DE L’INTOLÉRANCE.

Dieu qui, après cette vie passagère, dans laquelle nous l’avons tant méconnu, et tant commis de crimes en son nom, daignera nous consoler de tant d’horribles malheurs : car, à considérer les guerres de religion, les quarante schismes des papes, qui ont presque tous été sanglants ; les impostures, qui ont presque toutes été funestes ; les haines irréconciliables allumées par les différentes opinions ; à voir tous les maux qu’a produits le faux zèle, les hommes ont eu longtemps leur enfer dans cette vie.


CHAPITRE XI.


ABUS DE L’INTOLÉRANCE.


Mais quoi ! sera-t-il permis à chaque citoyen de ne croire que sa raison, et de penser ce que cette raison éclairée ou trompée lui dictera ? Il le faut bien[1] pourvu qu’il ne trouble point l’ordre : car il ne dépend pas de l’homme de croire ou de ne pas croire, mais il dépend de lui de respecter les usages de sa patrie ; et si vous disiez que c’est un crime de ne pas croire à la religion dominante, vous accuseriez donc vous-même les premiers chrétiens vos pères, et vous justifieriez ceux que vous accusez de les avoir livrés aux supplices.

Vous répondez que la différence est grande, que toutes les religions sont les ouvrages des hommes, et que l’Église catholique, apostolique et romaine, est seule l’ouvrage de Dieu. Mais en bonne foi, parce que notre religion est divine, doit-elle régner par la haine, par les fureurs, par les exils, par l’enlèvement des biens, les prisons, les tortures, les meurtres, et par les actions de grâces rendues à Dieu pour ces meurtres ? Plus la religion chrétienne est divine, moins il appartient à l’homme de la commander ; si Dieu l’a faite, Dieu la soutiendra sans vous. Vous savez que l’intolérance ne produit que des hypocrites ou des rebelles : quelle funeste alternative ! Enfin voudriez-vous soutenir par des bourreaux la religion d’un Dieu que des bourreaux ont fait périr, et qui n’a prêché que la douceur et la patience ?

Voyez, je vous prie, les conséquences affreuses du droit de l’intolérance. S’il était permis de dépouiller de ses biens, de jeter dans les cachots, de tuer un citoyen qui, sous un tel degré de latitude, ne professerait pas la religion admise sous ce degré,

  1. Voyez l’excellente Lettre de Locke sur la tolérance. (Note de Voltaire.)