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DES MARTYRS.


CHAPITRE IX.


DES MARTYRS.


Il y eut dans la suite des martyrs chrétiens. Il est bien difficile de savoir précisément pour quelles raisons ces martyrs furent condamnés ; mais j’ose croire qu’aucun ne le fut, sous les premiers Césars, pour sa seule religion : on les tolérait toutes ; comment aurait-on pu rechercher et poursuivre des hommes obscurs, qui avaient un culte particulier, dans le temps qu’on permettait tous les autres ?

Les Titus, les Trajan, les Antonins, les Décius, n’étaient pas des barbares : peut-on imaginer qu’ils auraient privé les seuls chrétiens d’une liberté dont jouissait toute la terre ? Les aurait-on seulement osé accuser d’avoir des mystères secrets, tandis que les mystères d’Isis, ceux de Mithras, ceux de la déesse de Syrie, tous étrangers au culte romain, étaient permis sans contradiction ? Il faut bien que la persécution ait eu d’autres causes, et que les haines particulières, soutenues par la raison d’État, aient répandu le sang des chrétiens.

Par exemple, lorsque saint Laurent refuse au préfet de Rome, Cornélius Secularis, l’argent des chrétiens qu’il avait en sa garde, il est naturel que le préfet et l’empereur soient irrités : ils ne savaient pas que saint Laurent avait distribué cet argent aux pauvres, et qu’il avait fait une œuvre charitable et sainte ; ils le regardèrent comme un réfractaire, et le firent périr[1].


    reurs que Tacite et Suétone lui reprochent. Il ne me paraît point vraisemblable qu’un vieillard infirme, de soixante et dix ans, se soit retiré dans l’île de Caprée pour s’y livrer à des débauches recherchées, qui sont à peine dans la nature, et qui étaient même inconnues à la jeunesse de Rome la plus effrénée ; ni Tacite, ni Suétone, n’avaient connu cet empereur ; ils recueillaient avec plaisir des bruits populaires. Octave, Tibère, et leurs successeurs, avaient été odieux, parce qu’ils retenaient sur un peuple qui devait être libre : les historiens se plaisaient à les diffamer, et on croyait ces historiens sur leur parole parce qu’alors on manquait de mémoires, de journaux du temps, de documents : aussi les historiens ne citent personne ; on ne pouvait les contredire ; ils diffamaient qui ils voulaient, et décidaient à leur gré du jugement de la postérité. C’est au lecteur sage de voir jusqu’à quel point on doit se défier de la véracité des historiens, quelle créance on doit avoir pour des faits publics attestés par des auteurs graves, nés dans une nation éclairée, et quelles bornes on doit mettre à sa crédulité sur des anecdotes que ces mêmes auteurs rapportent sans aucune preuve. (Note de Voltaire.) — Sur l’incendie de Londres, en 1666, voyez tome XIII, page 86 ; et XIV, 233.

  1. Nous respectons assurément tout ce que l’Église rend respectable ; nous