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AVIS AU PUBLIC


REMÈDES CONTRE LA RAGE DES ÂMES.

La rage du préjugé qui nous porte à croire coupables tous ceux qui ne sont pas de notre avis, la rage de la superstition, de la persécution, de l’inquisition, est une maladie épidémique qui a régné en divers temps, comme la peste ; voici les préservatifs reconnus pour les plus salutaires. Faites-vous rendre compte d’abord des lois romaines jusqu’à Théodose, vous ne trouverez pas un seul édit pour mettre à la torture, ou crucifier, ou rouer ceux qui ne sont accusés que de penser différemment de vous, et qui ne troublent point la société par des actions de désobéissance, et par des insultes au culte public autorisé par les lois civiles. Cette première réflexion adoucira un peu les symptômes de la rage.

Rassemblez plusieurs passages de Cicéron, et commencez par celui-ci : « Superstitio instat et urget, et quocumque te verteris, persequitur, etc.[1] — Si vous laissez entrer chez vous la superstition, elle vous poursuivra partout ; elle ne vous laissera point de relâche. » Cette précaution sera très-utile contre la maladie qu’il faut traiter.

N’oubliez pas Sénèque, qui, dans sa xcve épître, s’exprime ainsi : « Voulez-vous avoir Dieu propice ? soyez justes : on l’honore assez quand on l’imite. — Vis Deos propitiare ? bonus esto : satis illos coluit quisquis imitatus est. »

Quand vous aurez choisi de quoi faire une provision de ces remèdes antiques qui sont innombrables, passez ensuite au bon évêque Synésius[2] qui dit à ceux qui voulaient le consacrer : « Je vous avertis que je ne veux ni tromper ni forcer la conscience de personne ; je souffrirai que chacun demeure paisiblement dans son opinion, et je demeurerai dans les miennes. Je n’enseignerai rien de ce que je ne crois pas. Si vous voulez me consacrer à ces conditions, j’y consens ; sinon, je renonce à l’évêché. »

Descendez aux modernes ; prenez des préservatifs dans l’archevêque Tillotson, le plus sage et le plus éloquent prédicateur de l’Europe[3].

« Toutes les sectes, dit-il[4], s’échauffent avec d’autant plus de fureur, que les objets de leur emportement sont moins raison-

  1. Cic., De Divinatione, lib. II, 72. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez le paragraphe XXIII de l’opuscule De la Paix perpétuelle.
  3. Voyez tome IV du Théâtre, page 405.
  4. Sixième sermon. (Note de Voltaire.)