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SUR LES CALAS ET LES SIRVEN.


DES SUITES DE L’ESPRIT DE PARTI ET DU FANATISME.

Si une simple dispute de moines a pu produire de si étranges abominations, ne soyons point étonnés de la foule de crimes que l’esprit de parti a fait naître entre tant de sectes rivales : craignons toujours les excès où conduit le fanatisme. Qu’on laisse ce monstre en liberté, qu’on cesse de couper ses griffes et de briser ses dents, que la raison si souvent persécutée se taise, on verra les mêmes horreurs qu’aux siècles passés ; le germe subsiste : si vous ne l’étouffez pas, il couvrira la terre.

Jugez donc enfin, lecteurs sages, lequel vaut le mieux, d’adorer Dieu avec simplicité, de remplir tous les devoirs de la société sans agiter des questions aussi funestes qu’incompréhensibles, et d’être justes et bienfaisants sans être d’aucune faction, que de vous livrer à des opinions fantastiques, qui conduisent les âmes faibles à un enthousiasme destructeur et aux plus détestables atrocités.

Je ne crois point m’être écarté de mon sujet en rapportant tous ces exemples, en recommandant aux hommes la religion qui les unit, et non pas celle qui les divise ; la religion qui n’est d’aucun parti, qui forme des citoyens vertueux, et non d’imbéciles scolastiques ; la religion qui tolère, et non celle qui persécute ; la religion qui dit que toute la loi consiste à aimer Dieu et son prochain, et non celle qui fait de Dieu un tyran, et de son prochain un amas de victimes.

Ne faisons point ressembler la religion à ces nymphes de la fable, qui s’accouplèrent avec des animaux et qui enfantèrent des monstres.

Ce sont les moines surtout qui ont perverti les hommes. Le sage et profond Leibnitz l’a prouvé évidemment. Il a fait voir que le xe siècle, qu’on appelle le siècle de fer, était bien moins barbare que le XIIIe et les suivants, où naquirent ces multitudes de gueux qui firent vœu de vivre aux dépens des laïques, et de tourmenter les laïques. Ennemis du genre humain, ennemis les uns des autres et d’eux-mêmes, incapables de connaître les douceurs de la société, il fallait bien qu’ils la haïssent. Ils déploient entre eux une dureté dont chacun d’eux gémit, et que chacun d’eux redouble. Tout moine secoue la chaîne qu’il s’est donnée, en frappe son confrère, et en est frappé à son