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lées, et c’en était assez. On oubliait Dieu pour ne parler que du diable. Il arrivait nécessairement que les prêtres ayant fait un article de foi du commerce des hommes avec le diable, et les juges regardant ce prétendu crime comme aussi réel et aussi commun que le larcin, il se trouva parmi nous plus de sorciers que de voleurs.

UNE MAUVAISE JURISPRUDENCE MULTIPLIE LES CRIMES.

Ce furent donc nos rituels et notre jurisprudence, fondée sur les décrets de Gratien, qui formèrent en effet des magiciens. Le peuple imbécile disait : Nos prêtres excommunient, exorcisent ceux qui ont fait des pactes avec le diable ; nos juges les font brûler : il est donc très-certain qu’on peut faire des marchés avec le diable ; or, si ces marchés sont secrets, si Belzébuth nous tient parole, nous serons enrichis en une seule nuit ; il ne nous en coûtera que d’aller au sabbat ; la crainte d’être découverts ne doit pas l’emporter sur l’espérance des biens infinis que le diable peut nous faire. D’ailleurs Belzébuth, plus puissant que nos juges, nous peut secourir contre eux. Ainsi raisonnaient ces misérables ; et plus les juges fanatiques allumaient de bûchers, plus il se trouvait d’idiots qui les affrontaient.

Mais il y avait encore plus d’accusateurs que de criminels. Une fille devenait-elle grosse sans que l’on connût son amant, c’était le diable qui lui avait fait un enfant. Quelques laboureurs s’étaient-ils procuré par leur travail une récolte plus abondante que celle de leurs voisins, c’est qu’ils étaient sorciers : l’Inquisition les brûlait, et vendait leur bien à son profit. Le pape déléguait dans toute l’Allemagne et ailleurs des juges qui livraient les victimes au bras séculier, de sorte que les laïques ne furent très-longtemps que les archers et les bourreaux des prêtres. Il en est encore ainsi en Espagne et en Portugal.

Plus une province était ignorante et grossière, plus l’empire du diable y était reconnu. Nous avons un recueil des arrêts rendus en Franche-Comté contre les sorciers, fait en 1607, par un grand juge de Saint-Claude, nommé Boguet[1] et approuvé par plusieurs évêques. On mettrait aujourd’hui dans l’hôpital des fous un

  1. Discours des sorciers, tiré de quelques procès, avec une instruction pour un juge en fait de sorcellerie. La première édition est de 1603, la dernière de 1610. Voltaire reparle de cet ouvrage dans le paragraphe xiii du Commentaire sur le livre Des Délits et des Peines, et dans la Ire partie de sa Requête à tous les magistrats du royaume.