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CHAPITRE VIII.

qu’en usent tous les jours les calomniateurs dans le monde ; mais il faut dans un tribunal des faits avérés, des chefs d’accusation précis et circonstanciés : c’est ce que le procès de Socrate ne nous fournit point ; nous savons seulement qu’il eut d’abord deux cent vingt voix pour lui. Le tribunal des cinq-cents possédait donc deux cent vingt philosophes : c’est beaucoup ; je doute qu’on les trouvât ailleurs. Enfin la pluralité fut pour la ciguë ; mais aussi songeons que les Athéniens, revenus à eux-mêmes, eurent les accusateurs et les juges en horreur ; que Mélitus, le principal auteur de cet arrêt, fut condamné à mort pour cette injustice ; que les autres furent bannis, et qu’on éleva un temple à Socrate. Jamais la philosophie ne fut si bien vengée ni tant honorée. L’exemple de Socrate est au fond le plus terrible argument qu’on puisse alléguer contre l’intolérance. Les Athéniens avaient un autel dédié aux dieux étrangers, aux dieux qu’ils ne pouvaient connaître. Y a-t-il une plus forte preuve non-seulement d’indulgence pour toutes les nations, mais encore de respect pour leurs cultes ?

Un honnête homme, qui n’est ennemi ni de la raison, ni de la littérature, ni de la probité, ni de la patrie, en justifiant depuis peu la Saint-Barthélemy, cite la guerre des Phocéens, nommée la guerre sacrée, comme si cette guerre avait été allumée pour le culte, pour le dogme, pour des arguments de théologie ; il s’agissait de savoir à qui appartiendrait un champ : c’est le sujet de toutes les guerres. Des gerbes de blé ne sont pas un symbole de croyance ; jamais aucune ville grecque ne combattit pour des opinions. D’ailleurs, que prétend cet homme modeste et doux ? Veut-il que nous fassions une guerre sacrée[1] ?


CHAPITRE VIII.


SI LES ROMAINS ONT ÉTÉ TOLÉRANTS.


Chez les anciens Romains, depuis Romulus jusqu’aux temps où les chrétiens disputèrent avec les prêtres de l’empire, vous ne

  1. Cet homme est l’abbé de Malvaux, qui publia, en 1762, l’Accord de la religion et de l’humanité sur l’intolérance, ouvrage dont il est parlé dans le post-scriptum (ch. xxiv du Traité de la Tolérance), et qui fit rejaillir sur l’auteur une partie de la juste indignation que s’était attirée son devancier, l’abbé de Caveyrac, en se faisant l’apologiste de la Saint-Barthélemy. C’est à ce dernier que quelques personnes attribuent l’Accord, etc. J’ai suivi l’opinion d’Hébraïl. (B.)