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SI L’INTOLÉRANCE EST DE DROIT NATUREL.

Le Tellier et Doucin[1] fabriquèrent la bulle Unigenitus, qu’ils envoyèrent à Rome : ils crurent être encore dans ces temps d’ignorance où les peuples adoptaient sans examen les assertions les plus absurdes. Ils osèrent proscrire cette proposition, qui est d’une vérité universelle dans tous les cas et dans tous les temps : « La crainte d’une excommunication injuste ne doit point empêcher de faire son devoir. » C’était proscrire la raison, les libertés de l’Église gallicane, et le fondement de la morale ; c’était dire aux hommes : Dieu vous ordonne de ne jamais faire votre devoir, dès que vous craindrez l’injustice. On n’a jamais heurté le sens commun plus effrontément. Les consulteurs de Rome n’y prirent pas garde. On persuada à la cour de Rome que cette bulle était nécessaire, et que la nation la désirait ; elle fut signée, scellée, et envoyée : on en sait les suites[2] ; certainement, si on les avait prévues, on aurait mitigé la bulle. Les querelles ont été vives ; la prudence et la bonté du roi les ont enfin apaisées.

Il en est de même dans une grande partie des points qui divisent les protestants et nous : il y en a quelques-uns qui ne sont d’aucune conséquence ; il y en a d’autres plus graves, mais sur lesquels la fureur de la dispute est tellement amortie que les protestants eux-mêmes ne prêchent aujourd’hui la controverse en aucune de leurs églises.

C’est donc ce temps de dégoût, de satiété, ou plutôt de raison, qu’on peut saisir comme une époque et un gage de la tranquillité publique. La controverse est une maladie épidémique qui est sur sa fin, et cette peste, dont on est guéri, ne demande plus qu’un régime doux. Enfin l’intérêt de l’État est que des fils expatriés reviennent avec modestie dans la maison de leur père : l’humanité le demande, la raison le conseille, et la politique ne peut s’en effrayer.


CHAPITRE VI.


SI L’INTOLÉRANCE EST DE DROIT NATUREL ET DE DROIT HUMAIN.


Le droit naturel est celui que la nature indique à tous les hommes. Vous avez élevé votre enfant, il vous doit du respect comme à son père, de la reconnaissance comme à son bienfaiteur.

  1. Voltaire oublie ici le P. Lallemant, dont il parle, tome XVIII, page 48, et dans son Mandement du révérendissime père en Dieu, Alexis, etc.
  2. Voyez tome XV, pages 55, 160 ; XVI, 69.