Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/427

Cette page a été validée par deux contributeurs.

veut pas qu’un profane soit jamais reçu dans cette maison ; mais c’est précisément cette loi qui a fait manquer l’établissement. Les laïques, qui sont toujours jaloux de nous, s’y sont vivement opposés.

Vous croyez peut-être, mon cher Covelle, que je ne parle pas sérieusement ; je vous jure que le livre existe, que je l’ai lu, et que M.  Formey est trop honnête homme, et trop craignant Dieu, pour le désavouer. Son idée est très-raisonnable : car enfin il faut, ou ressembler au bonhomme Onan, ou trouver une demoiselle Ferbot, ou se marier, ou faire un enfant à la fille d’un maître d’hôtel, ce qui m’exposerait à être chassé de la maison de monsieur le comte.

Je vous confie mon embarras ; j’espère qu’étant du métier vous m’aiderez de vos bons conseils.

Je fus hier obligé de prêcher sur la chasteté : le diable m’avait bercé toute la nuit ; la fille du maître d’hôtel se trouvait tout juste vis-à-vis de moi ; elle rougissait, et moi aussi ; je balbutiai beaucoup. Madame la comtesse s’aperçut de mon trouble : jugez de la situation où je suis. Cette fille passe actuellement sous ma fenêtre ; la plume me tombe des mains… ma vue se trouble… Ah ! bonsoir… mon cher… Covelle.


THÉRO[1],
Proposant et chapelain de S. E. monseigneur
le comte de Hiss-Priest-Craft.

TREIZIÈME LETTRE.
adressée par m. covelle à ses chers concitoyens.

Messieurs,

Les occasions développent l’esprit des hommes. J’avais peu exercé ma faculté de penser avant que je me visse obligé de soutenir les droits de l’humanité contre ceux dont l’orgueil exigeait de moi une bassesse. Ce qu’a dit un de nos concitoyens sur les miracles m’a ouvert les yeux. J’ai conclu qu’il est fort peu important pour le bien de la société, pour les mœurs, pour la vertu, de savoir ou d’ignorer qu’un figuier a été séché, parce qu’il n’avait

  1. Dans la première édition, cette lettre était signée : D., chapelain de S. E. monseigneur le comte de K.