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son seigneur allemand, et je m’adresse à vous comme à un jeune curé de village fait pour jouer un grand rôle dans la ville.

Vous avez une jolie femme, et je n’en ai point. J’ai pris le parti, en honnête homme, de faire un enfant à Mlle Ferbot ; c’est un grand péché, je l’avoue.

Jésus, égal ou inégal à son père, est extrêmement courroucé quand un Genevois fait un enfant à une fille ; et certainement il jetterait la ville dans le lac si on commettait souvent cette énormité, contraire à toutes les lois de la nature : aussi j’en ai demandé pardon à Jésus ; mais vous vouliez que je vous demandasse aussi pardon, comme si vous étiez consubstantiel à Jésus, et comme si votre village était consubstantiel à Genève.

En vérité, mon cher pasteur, vous êtes allé trop loin ; vous êtes trop jeune et trop aimable pour juger les filles. Souffrez que j’aie l’honneur de vous dire ce que c’est qu’un ministre, non d’État, mais du saint Évangile.

C’est un homme vêtu de noir à qui nous donnons des gages pour prêcher, pour exhorter, et pour faire quelques autres fonctions. Vous croyez, parce que nous vous avons appelés pasteurs, que nous ne sommes que des brebis. Les choses ne vont pas tout à fait ainsi. Souvenez-vous que Christ dit expressément à ses disciples : « Il n’y aura parmi vous ni premier ni dernier[1]. »

Nous avons au fond autant de droit que vous de parler en public pour édifier nos frères, et de rompre le pain avec eux. Si, quand les sociétés chrétiennes se sont augmentées, nous jugeâmes à propos de commettre certaines personnes pour baptiser, prêcher, communier nos fidèles, et avoir soin de tenir propre le lieu de l’assemblée, ce n’est pas que nous ne puissions fort bien prendre ce soin nous-mêmes. Je donne des gages à un homme pour faire paître mon troupeau ; mais cela ne m’ôte pas le droit de le mener paître moi-même, et d’envoyer paître le berger si j’en suis mécontent.

On vous a imposé les mains, j’en suis bien aise ; mais qu’a-t-on fait, s’il vous plaît, par cette cérémonie ? Vous a-t-on donné plus d’esprit que vous n’en aviez ? ceux qui vous ont reçu ministre du saint Évangile vous ont-ils donné autre chose qu’une déclaration que vous ne savez point l’hébreu, que vous savez un peu de grec, que vous avez lu Matthieu, Luc, Marc, et Jean, et que vous pouvez parler une demi-heure de suite ? Or, certainement plusieurs de nos citoyens sont dans ce cas, et j’écoute

  1. Matthieu, xix, 30 ; xx, 16 ; — Marc, x, 31 ; — Luc, xiii, 30.