Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/379

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contraire, les archives de Rome, les monuments publics, les histoires attestent les deux miracles de l’empereur Vespasien, qui, étant sur son tribunal, dans Alexandrie, rendit publiquement la vue à un aveugle, et l’usage de ses membres à un paralytique. Si donc, disent-ils, ces deux miracles si authentiques et si célèbres n’attirent aujourd’hui aucune croyance, quelle foi pourrons-nous ajouter aux prétendus prodiges des chrétiens, prodiges opérés dans la fange d’une populace ignorée, recueillis longtemps après, et accompagnés pour la plupart de circonstances ridicules ?

Que pouvons-nous penser, disent-ils, de la Vie des Pères du désert, écrite par Jérôme ? Ici, c’est un saint Pacôme qui, quand il veut voyager, se fait porter par un crocodile ; là, c’est un saint Amon qui, s’étant dépouillé tout nu pour passer un fleuve à la nage, est transporté subitement à l’autre bord, de peur d’être mouillé ; plus loin, un corbeau apporte tous les jours une moitié de pain à l’ermite Paul pendant soixante années ; et quand l’ermite Antoine vient visiter Paul, le corbeau apporte un pain entier.

Que dirons-nous des miracles rapportés dans les Actes des martyrs[1] ? Sept vierges chrétiennes, par exemple, dont la plus jeune a soixante-dix ans, sont condamnées par le magistrat de la ville d’Ancyre à être les victimes de la lubricité des jeunes gens de la ville. Un saint cabaretier chrétien[2], instruit du danger que courent ces vierges, prie Dieu de les faire mourir pour prévenir la perte de leur virginité ; Dieu l’exauce ; le juge d’Ancyre les fait jeter dans un lac ; elles apparaissent au cabaretier, et se plaignent à lui d’être sur le point de se voir mangées par les poissons ; le cabaretier va pendant la nuit pêcher les sept vieilles ; un ange à cheval, précédé d’un flambeau céleste, le conduit au lac ; il ensevelit les vierges, et pour récompense il reçoit la couronne du martyre.

Nos prétendus sages font des collections de cent miracles de cette nature, ils nous insultent ; ils disent (car il ne faut dissimuler aucune de leurs témérités) : Si les Actes des martyrs portaient que ce cabaretier changea l’eau en vin, nous n’en croirions rien, quoique ce soit une opération de son métier : pourquoi donc croirions-nous au miracle des noces de Cana, qui semble encore plus indigne de la majesté d’un Dieu que convenable à la profession d’un cabaretier ?

  1. Voyez tome XIV, page 125.
  2. Théodote ; voyez tome XI, page 233 ; et XX, 42.