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CHAPITRE II.

on inférait de là que la famille Calas devait être immolée à l’honneur de la magistrature. On ne songeait pas que l’honneur des juges consiste, comme celui des autres hommes, à réparer leurs fautes. On ne croit pas en France que le pape, assisté de ses cardinaux, soit infaillible : on pourrait croire de même que huit juges de Toulouse ne le sont pas. Tout le reste des gens sensés et désintéressés disaient que l’arrêt de Toulouse serait cassé dans toute l’Europe, quand même des considérations particulières empêcheraient qu’il fût cassé dans le conseil.

Tel était l’état de cette étonnante aventure, lorsqu’elle a fait naître à des personnes impartiales, mais sensibles, le dessein de présenter au public quelques réflexions sur la tolérance, sur l’indulgence, sur la commisération, que l’abbé Houtteville appelle dogme monstrueux[1], dans sa déclamation ampoulée et erronée sur des faits, et que la raison appelle l’apanage de la nature.

Ou les juges de Toulouse, entraînés par le fanatisme de la populace, ont fait rouer un père de famille innocent, ce qui est sans exemple ; ou ce père de famille et sa femme ont étranglé leur fils aîné, aidés dans ce parricide par un autre fils et par un ami, ce qui n’est pas dans la nature. Dans l’un ou dans l’autre cas, l’abus de la religion la plus sainte a produit un grand crime. Il est donc de l’intérêt du genre humain d’examiner si la religion doit être charitable ou barbare.



CHAPITRE II.


CONSÉQUENCES DU SUPPLICE DE JEAN CALAS.


Si les pénitents blancs furent la cause du supplice d’un innocent, de la ruine totale d’une famille, de sa dispersion et de l’opprobre qui ne devrait être attaché qu’à l’injustice, mais qui l’est au supplice ; si cette précipitation des pénitents blancs à célébrer comme un saint celui qu’on aurait dû traîner sur la claie, suivant nos barbares usages, a fait rouer un père de famille vertueux ; ce malheur doit sans doute les rendre pénitents en effet pour le reste de leur vie ; eux et les juges doivent pleurer, mais non pas avec un long habit blanc et un masque sur le visage qui cacherait leurs larmes.

  1. Voyez, tome XXIII, la note de la page 32 ; et, plus loin, le chapitre iv de l’Examen important de milord Bolingbroke.