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CHAPITRE I.

n’est jamais intolérance : se moquer d’un homme, ou le persécuter, sont deux choses bien distinctes.

Si les prérogatives qu’on attaque sont mal fondées, celui qui s’élève contre elles ne fait que réclamer des droits usurpés sur lui. Est-ce donc être intolérant que de faire un procès à celui qui a usurpé nos biens ? Le procès peut être injuste, mais il n’y a point là d’intolérance.

On a dit aussi que les libres penseurs étaient dangereux parce qu’ils formaient une secte : cela est encore absurde. Ils ne peuvent former de secte, puisque leur premier principe est que chacun doit être libre de penser et de professer ce qu’il veut ; mais ils se réunissent contre les persécuteurs, et ce n’est point faire secte que de s’accorder à défendre le droit le plus noble et le plus sacré que l’homme ait reçu de la nature[1].




CHAPITRE I.


HISTOIRE ABRÉGÉE DE LA MORT DE JEAN CALAS.


Le meurtre de Calas, commis dans Toulouse avec le glaive de la justice, le 9 mars 1762, est un des plus singuliers événements qui méritent l’attention de notre âge et de la postérité. On oublie bientôt cette foule de morts qui a péri dans des batailles sans nombre, non-seulement parce que c’est la fatalité inévitable de la guerre, mais parce que ceux qui meurent par le sort des armes pouvaient aussi donner la mort à leurs ennemis, et n’ont point péri sans se défendre. Là où le danger et l’avantage sont égaux, l’étonnement cesse, et la pitié même s’affaiblit ; mais si un père de famille innocent est livré aux mains de l’erreur, ou de la passion, ou du fanatisme ; si l’accusé n’a de défense que sa vertu : si les arbitres de sa vie n’ont à risquer en l’égorgeant que de se tromper ; s’ils peuvent tuer impunément par un arrêt, alors le cri public s’élève, chacun craint pour soi-même, on voit que personne n’est en sûreté de sa vie devant un tribunal érigé pour veiller sur la vie des citoyens, et toutes les voix se réunissent pour demander vengeance.

Il s’agissait, dans cette étrange affaire, de religion, de suicide,

  1. Entre cet avertissement et le Traité sur la Tolérance, qui suit, l’édition de Kehl contenait une lettre à M. Chardon, maître des requêtes, etc., sur l’affaire de Sirven, que d’après le conseil de feu Decroix, l’un des éditeurs de Kehl, j’ai placée dans la Correspondance, au mois de février 1768. (B.)