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AVERTISSEMENT

comme un droit de justice, un devoir prescrit par l’humanité, la conscience, la religion ; une loi nécessaire à la paix et à la prospérité des États.

Si, dans cette classe d’hommes qui déshonorent les lettres par leur vie comme par leurs ouvrages, quelques-uns osent encore s’élever contre cette opinion, on peut leur opposer avec trop d’avantage les maximes et la conduite des États-Unis de l’Amérique septentrionale, des deux parlements de la Grande-Bretagne[1], des États-Généraux, de l’empereur des Romains, de l’impératrice des Russes, du roi de Prusse, du roi de Suède, de la république de Pologne. Du cercle polaire au 50e degré de latitude, du Kamtschatka aux rives du Mississipi, la tolérance s’est établie sans trouble. À la vérité, les confédérés polonais mêlèrent quelques pratiques de dévotion au projet d’assassiner leur roi[2], et à leur alliance avec les Turcs ; mais cet abus de la religion est une preuve de plus de la nécessité d’être tolérant si l’on veut être paisible.

Tout législateur qui professe une religion, qui connaît les droits de la conscience, doit être tolérant ; il doit sentir combien il est injuste et barbare de placer un homme entre le supplice et des actions qu’il regarde comme des crimes. Il voit que toutes les religions s’appuient sur des faits, sont établies sur le même genre de preuves, sur l’interprétation de certains livres, sur la même idée de l’insuffisance de la raison humaine ; que toutes ont été suivies par des hommes éclairés et vertueux ; que les opinions contradictoires ont été soutenues par des gens de bonne foi, qui avaient médité toute leur vie sur ces objets.

Comment se croira-t-il donc assez sûr de sa croyance pour traiter comme ennemis de Dieu ceux qui pensent autrement que lui ? Regardera-t-il le sentiment intérieur qui le détermine comme une preuve juridique qui lui donne des droits sur la vie ou sur la liberté de ceux qui ont d’autres opinions ? Comment ne sentirait-il pas que ceux qui professent une autre doctrine ont contre lui un droit aussi légitime que celui qu’il exerce contre eux ?

Supposons maintenant un homme qui, n’ayant aucune religion, les regarde toutes comme des fables absurdes ; cet homme sera-t-il intolérant ? Non sans doute. À la vérité, comme ses preuves sont d’un autre genre, comme les fondements de ses opinions sont appuyés sur des principes d’une autre nature, le devoir d’être tolérant est fondé, pour lui, sur d’autres motifs. S’il regarde comme des insensés les sectateurs des différentes religions, se croira-t-il en droit de traiter comme un crime une folie qui ne trouble pas l’ordre de la société, de priver de leurs droits des hommes que l’espèce de démence dont ils sont atteints ne met pas hors d’état de les exercer ? Peut-il ne pas les supposer de bonne foi ? car l’existence même des fourbes qui professent une croyance qu’ils n’ont pas suppose celle des dupes aux dépens de qui ces fourbes vivent et s’enrichissent. Il faudrait qu’il y eût un moyen

  1. La réunion du parlement d’Irlande et du parlement d’Angleterre en un seul date de 1800. (B.)
  2. Voyez dans les Fragments sur l’Histoire, l’Essai sur les Dissensions des Églises de Pologne.