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CHAPITRE XXI.

S’il y a quelques convulsionnaires dans un coin d’un faubourg[1], c’est une maladie pédiculaire dont il n’y a que la plus vile populace qui soit attaquée. Chaque jour la raison pénètre en France, dans les boutiques des marchands comme dans les hôtels des seigneurs. Il faut donc cultiver les fruits de cette raison, d’autant plus qu’il est impossible de les empêcher d’éclore. On ne peut gouverner la France, après qu’elle a été éclairée par les Pascal, les Nicole, les Arnauld, les Bossuet, les Descartes, les Gassendi, les Bayle, les Fontenelle, etc., comme on la gouvernait du temps des Garasse et des Menot.

Si les maîtres d’erreurs, je dis les grands maîtres, si longtemps payés et honorés pour abrutir l’espèce humaine, ordonnaient aujourd’hui de croire que le grain doit pourrir pour germer[2] ; que la terre est immobile sur ses fondements, qu’elle ne tourne point autour du soleil ; que les marées ne sont pas un effet naturel de la gravitation, que l’arc-en-ciel n’est pas formé par la réfraction et la réflexion des rayons de la lumière, etc., et s’ils se fondaient sur des passages mal entendus de la sainte Écriture pour appuyer leurs ordonnances, comment seraient-ils regardés par tous les hommes instruits ? Le terme de bêtes serait-il trop fort ? Et si ces sages maîtres se servaient de la force et de la persécution pour faire régner leur ignorance insolente, le terme de bêtes farouches serait-il déplacé ?

Plus les superstitions des moines sont méprisées, plus les évêques sont respectés, et les curés considérés ; ils ne font que du bien, et les superstitions monacales ultramontaines feraient beaucoup de mal. Mais de toutes les superstitions, la plus dangereuse, n’est-ce pas celle de haïr son prochain pour ses opinions ? Et n’est-il pas évident qu’il serait encore plus raisonnable d’adorer le saint nombril, le saint prépuce, le lait et la robe de la vierge Marie, que de détester et de persécuter son frère ?


CHAPITRE XXI.


VERTU VAUT MIEUX QUE SCIENCE.


Moins de dogmes, moins de disputes ; et moins de disputes, moins de malheurs : si cela n’est pas vrai, j’ai tort.

  1. Saint-Marceau.
  2. I. Cor., xv, 36.