Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/108

Cette page a été validée par deux contributeurs.
98
CHAPITRE XIX.

Ils seraient surtout dans l’obligation indispensable d’assassiner tous les Turcs, cela va sans difficulté : car les Turcs possèdent le pays des Éthéens, des Jébuséens, des Amorrhéens, Jersénéens, Hévéens, Aracéens, Cinéens, Hamatéens, Samaréens : tous ces peuples furent dévoués à l’anathème ; leur pays, qui était de plus de vingt-cinq lieues de long, fut donné aux Juifs par plusieurs pactes consécutifs ; ils doivent rentrer dans leur bien ; les mahométans en sont les usurpateurs depuis plus de mille ans.

Si les Juifs raisonnaient ainsi aujourd’hui, il est clair qu’il n’y aurait d’autre réponse à leur faire que de les mettre aux galères.

Ce sont à peu près les seuls cas où l’intolérance paraît raisonnable.


CHAPITRE XIX.


RELATION D’UNE DISPUTE DE CONTROVERSE À LA CHINE.


Dans les premières années du règne du grand empereur Kang-hi, un mandarin de la ville de Kanton entendit de sa maison un grand bruit qu’on faisait dans la maison voisine : il s’informa si l’on ne tuait personne ; on lui dit que c’était l’aumônier de la compagnie danoise, un chapelain de Batavia, et un jésuite qui disputaient ; il les fit venir, leur fit servir du thé et des confitures, et leur demanda pourquoi ils se querellaient.

Le jésuite lui répondit qu’il était bien douloureux pour lui, qui avait toujours raison, d’avoir affaire à des gens qui avaient toujours tort ; que d’abord il avait argumenté avec la plus grande retenue, mais qu’enfin la patience lui avait échappé.

Le mandarin leur fit sentir, avec toute la discrétion possible, combien la politesse est nécessaire dans la dispute, leur dit qu’on ne se fâchait jamais à la Chine, et leur demanda de quoi il s’agissait.

Le jésuite lui répondit : « Monseigneur, je vous en fais juge ; ces deux messieurs refusent de se soumettre aux décisions du concile de Trente.

— Cela m’étonne, dit le mandarin. » Puis se tournant vers les deux réfractaires : « Il me paraît, leur dit-il, messieurs, que vous devriez respecter les avis d’une grande assemblée : je ne sais pas ce que c’est que le concile de Trente ; mais plusieurs personnes sont toujours plus instruites qu’une seule. Nul ne doit croire qu’il en sait plus que les autres, et que la raison n’habite que dans sa tête ; c’est ainsi que l’enseigne notre grand Confucius ; et