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DIALOGUES

ENTRE LUCRÈCE ET POSIDONIUS[1]


PREMIER ENTRETIEN.
posidonius.

Votre poésie est quelquefois admirable ; mais la physique d’Épicure me paraît bien mauvaise.

lucrèce.

Quoi ! vous ne voulez pas convenir que les atomes se sont arrangés d’eux-mêmes de façon qu’ils ont produit cet univers ?

posidonius.

Nous autres mathématiciens, nous ne pouvons convenir que des choses qui sont prouvées évidemment par des principes incontestables.

lucrèce.

Mes principes le sont.

Ex nihilo nihil, in nihilum nil posse reverti ;
Tangere enim et tangi nisi corpus nulia potest res
[2].

Que rien ne vient de rien, rien ne retourne à rien ;
Et qu’un corps n’est touché que par un autre corps.

posidonius.

Quand je vous aurais accordé ces principes, et même les atomes et le vide, vous ne me persuaderiez pas plus que l’univers s’est arrangé de lui-même, dans l’ordre admirable où nous le voyons, que si vous disiez aux Romains que la sphère armillaire, composée par Posidonius, s’est faite toute seule,

  1. Ces deux Entretiens ou Dialogues sont dans l’édition de 1756.
  2. Lucrèce, livre I, vers 305. Le vers qui précède n’est pas de Lucrèce, mais il est le résumé de sa doctrine, et est de Perse, sat. iii, v. 84 ; on lit toutefois dans Perse :

    De nihilo nihil, etc.