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UN BRACHMANE

Gengis-kan conquît l’Asie ? à l’heure à laquelle son père s’éveilla un jour en couchant avec sa femme, à un mot qu’un Tartare avait prononcé quelques années auparavant. Je suis, par exemple, tel que vous me voyez, une des causes principales de la mort déplorable de votre bon roi Henri IV, et vous m’en voyez encore affligé.

le jésuite.

Votre Révérence veut rire apparemment. Vous, la cause de l’assassinat de Henri IV !

le brachmane.

Hélas ! oui. C’était l’an neuf cent quatre-vingt-trois mille de la révolution de Saturne, qui revient à l’an mil cinq cent cinquante de votre ère. J’étais jeune et étourdi. Je m’avisai de commencer une petite promenade du pied gauche, au lieu du pied droit, sur la côte de Malabar, et de là suivit évidemment la mort de Henri IV.

le jésuite.

Comment cela, je vous supplie ? Car nous, qu’on accusait de nous être tournés de tous les côtés dans cette affaire, nous n’y avons aucune part.

le brachmane.

Voici comme la destinée arrangea la chose. En avançant le pied gauche, comme j’ai l’honneur de vous dire, je fis tomber malheureusement dans l’eau mon ami Ériban, marchand persan, qui se noya. Il avait une fort jolie femme qui convola avec un marchand arménien ; elle eut une fille qui épousa un Grec ; la fille de ce Grec s’établit en France, et épousa le père de Ravaillac. Si tout cela n’était pas arrivé, vous sentez que les affaires des maisons de France et d’Autriche auraient tourné différemment. Le système de l’Europe aurait changé. Les guerres entre l’Allemagne et la Turquie auraient eu d’autres suites ; ces suites auraient influé sur la Perse, la Perse sur les Indes. Vous voyez que tout tenait à mon pied gauche, lequel était lié à tous les autres événements de l’univers, passés, présents, et futurs.

le jésuite.

Je veux proposer cet argument à quelqu’un de nos pères théologiens, et je vous apporterai la solution.

le brachmane.

En attendant je vous dirai encore que la servante du grand-père du fondateur des feuillants (car j’ai lu vos histoires) était aussi une des causes nécessaires de la mort de Henri IV, et de tous les accidents que cette mort entraîna.