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INTRODUCTION[1]

(DE L’ABRÉGÉ DE L’HISTOIRE UNIVERSELLE)

Plusieurs esprits infatigables ayant débrouillé, autant qu’on le peut, le chaos de l’antiquité, et quelques génies éloquents ayant écrit l’histoire universelle jusqu’à Charlemagne, j’ai regretté qu’ils n’aient pas fourni une carrière plus longue ; j’ai voulu, pour m’instruire de ce qu’ils ne disent pas, mettre sous mes yeux un précis de l’histoire, laquelle nous intéresse à mesure qu’elle devient plus moderne.

Ma principale idée est de connaître, autant que je pourrai, les mœurs des peuples, et d’étudier l’esprit humain ; je regarderai l’ordre des successions des rois et la chronologie comme mes guides, mais non comme le but de mon travail. Ce travail serait bien ingrat si je me bornais à vouloir apprendre seulement en quelle année un prince indigne d’être connu succéda à un prince barbare.

Il semble, en lisant les histoires, que la terre n’ait été faite que pour quelques souverains, et pour ceux qui ont servi leurs passions ; tout le reste est négligé. Les historiens imitent eu cela quelques tyrans dont ils parlent[2] : ils sacrifient le genre humain à un seul homme. N’y a-t-il donc eu sur la terre que des princes, et faut-il que presque tous les inventeurs des arts

  1. Ce morceau, que j’ai cru devoir recueillir, était, en 1753, en tête de l’ouvrage publié par Néaulme, sous le titre d’Abrégé de l’histoire universelle (voyez l’Avertissement du tome XI). Il fut imprimé, en 1754, dans le premier volume de l’édition donnée sous le titre d’Essai sur l’Histoire universelle (en six volumes). L’auteur y restitua un passage qui avait été altéré. (B.)
  2. Ce texte est celui de l’édition de Dresde de 1754. Les éditions de Néaulme et de Nourse, données en 1753, portaient : « Les historiens, semblables en cela aux rois, sacrifient le genre humain à un seul homme. » Ce passage est un de ceux que le Procès-verbal, dont il est parlé dans la note 1 de la page 45, signale comme altérés. Louis XV fut blessé, dit-on, de cette phrase ; voilà pourquoi Voltaire, dans sa lettre à Néaulme, du 28 février 1754, emploie les expressions : « Il semble que vous ayez voulu me perdre. » — « Nous avons trouvé, dit l’acte de Colmar, à la première page du manuscrit, ligne 3 : Les historiens en cela ressemblent à quelques tyrans dont ils parlent : ils sacrifient le genre humain à un seul homme. Et, dans l’édition de Jean Néaulme, nous avons trouvé : Les historiens, semblables en cela aux rois, etc. Sur quoi, l’auteur a protesté qu’il se pourvoirait en temps et lieu contre ceux qui ont défiguré son ouvrage d’une manière si odieuse. »