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SUR LES MŒURS. 573

invoquaient également le nom du Seigneur. Nous verrons dans le Siècle de Louis XIV plus de quatre mille ^ fanatiques périr par la roue et dans les flammes ; et, ce qui est bien remarquable, il n'y en eut pas un seul qui ne mourût en bénissant Dieu, pas un qui montrât la moindre faiblesse : hommes, femmes, enfants, tous expirèrent avec le même courage.

Quelle a été la cause de cette guerre civile et de toutes celles de religion dont l'Europe a été ensanglantée? Point d'autre que le malheur d'avoir trop longtemps négligé la morale pour la con- troverse. L'autorité a voulu ordonner aux hommes d'être croyants, aulieu de leur commander simplement d'être justes. Elle a fourni des prétextes à l'opiniâtreté. Ceux qui sacrifient leur sang et leur vie ne sacrifient pas de même ce qu'ils appellent leur raison. Il est plus aisé de mener cent mille hommes au combat que de soumettre Tesprit d'un persuadé.

XVIL — DES LOIS.

L'opinion a fait les lois. On a insinué assez dans VEssai sur les Mœurs que les lois sont presque partout incertaines, insuffisantes, contradictoires. Ce n'est pas seulement parce qu'elles ont été rédigées par des hommes : car la géométrie, inventée par les hommes, est vraie dans toutes ses parties ; la physique expéri- mentale est vraie ; les premiers principes métaphysiques même, sur lesquels la géométrie est fondée, sont d'une vérité incontes- table, et rien de tout cela ne peut changer. Ce qui rend les lois variables, fautives, inconséquentes, c'est qu'elles ont été presque toutes établies sur des besoins passagers, comme des remèdes appliqués au hasard, qui ont guéri un malade et qui en ont tué d'autres.

Plusieurs royaumes étant composés de provinces ancienne- ment indépendantes, et ces provinces ayant encore été partagées en cantons non-seulement indépendants, mais ennemis l'un de l'autre, toutes leurs lois ont été opposées, et le sont encore. Les marques de l'ancienne division subsistent dans le tout réuni : ce qui est vrai et bon au deçà d'une rivière est faux et mauvais au delà ; et, comme on l'a déjà dit*, on change de loi dans sa patrie

1. On lit quatre mille dans toutes les éditions données du vivant de l'auteur, et dans l'édition de Kehl (in-S»); dans les éditions modernes, on lit quarante mille. Voltaire ne donne pas de nombre dans le chapitre xxxvi de son Siècle de Louis XIV, consacré au Calvinisme. (B.) — Voyez tome XV, pages 14-38.

2. Voyez tome XIX, p. 289.

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