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538 REMARQUES DE L'ESSAI

est possible qu'un homme rempli d'enthousiasme et de grands desseins ait imaginé en songe qu'il était transporté de la Mecque à Jérusalem, et qu'il parlait aux anges : de telles fantaisies entrent dans la composition de la nature humaine. Le philosophe Gas- sendi rapporte qu'il rendit la raison à un pauvre homme qui se croyait sorcier ; et voici comment il s'y prit : il lui persuada qu'il voulait être sorcier comme lui ; il lui demanda de sa drogue, et feignit de s'en frotter ; ils passèrent la nuit dans la même chambre : le sorcier endormi s'agita et parla toute la nuit ; à sou réveil il embrassa Gassendi et le félicita d'avoir été au sabbat : il lui racon- tait tout ce que Gassendi et lui avaient fait avecle bouc. Gassendi, lui montrant alors la drogue à laquelle il n'avait pas touché, lui fit voir qu'il avait passé la nuit à lire et à écrire. Il parvint enfin à tirer le sorcier de son illusion.

Il est vraisemblable que Mahomet fut d'abord fanatique, ainsi que Cronivi^ell le fut dans le commencement de la guerre civile : tous deux employèrent leur esprit et leur courage à faire réussir leur fanatisme ; mais Mahomet fit des choses infiniment plus grandes, parce qu'il vivait dans un temps et chez un peuple où l'on pouvait les faire. Ce fut certainement un très-grand homme, et qui forma de grands hommes. Il fallait qu'il fût martyr ou conquérant, il n'y avait pas de milieu. Il vainquit toujours, et toutes ses victoires furent remportées par le petit nombre sur le grand. Conquérant, législateur, monarque et pontife, il joua le plus grand rôle qu'on puisse jouer sur la terreaux yeux du com- mun des hommes; mais les sages lui préféreront toujours Con- futzée, précisément parce qu'il ne fut rien de tout cela, et qu'il se contenta d'enseigner la morale la plus pure à une nation plus ancienne, plus nombreuse, et plus policée que la nation arabe.

X. — DE LA GRANDEUR TEMPORELLE DES CALIFES ET DES PAPES.

L'opinion et la guerre firent la grandeur des cahfes; l'opi- nion et l'habileté firent la grandeur des papes. Nous ne compa- rons point ici religion à religion, église à mosquée, évoque à muphti; mais politique à pohtique, événements à événements.

Dans l'ordre ordinaire des choses, la guerre peut donner de grands Étals ; l'habileté n'en peut donner que de petits : ceux-ci durent plus longtemps; la guerre, qui a fondé les autres, les détruit tôt ou tard. Ainsi les papes ont eu peu à peu cent milles italiques de pays en long et eu large, et les califes, qui en avaient

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