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PRÉFACE[1]

(1754)




La manière dont j’ai étudié l’histoire était pour moi, et non pour le public ; mes études n’étaient point faites pour être imprimées. Une personne très-rare dans son siècle et dans tous les siècles[2], dont l’esprit s’étendait à tout, voulut enfin apprendre avec moi l’histoire, pour laquelle elle avait eu d’abord autant de dégoût que le père Malebranche, parce qu’elle avait comme lui de très-grands talents pour la métaphysique et la géométrie. « Que m’importe, disait-elle, à moi Française, vivant dans ma terre, de savoir qu’Égil succéda au roi Haquin en Suède ? et qu’Ottoman était fils d’Ortogul ? J’ai lu avec plaisir les histoires des Grecs et des Romains. Elles présentaient à mon esprit de grands tableaux qui m’attachaient. Mais je n’ai pu encore achever aucune grande histoire de nos nations modernes ; je n’y vois guère que de la confusion, une foule de petits événements sans liaison et sans suite, mille batailles qui n’ont décidé de rien, et dans lesquelles je n’apprenais pas seulement de quelles armes on se servait pour se détruire. J’ai renoncé à une étude aussi sèche qu’immense, qui accable l’esprit sans l’éclairer.

  1. Cette Préface était en tête du volume publié par Voltaire en 1754, sous le titre d’Essai sur l’Histoire universelle, tome troisième, et dont j’ai déjà parlé dans l’Avertissement en tête de l’Essai sur les Mœurs. Ce morceau se retrouve sous le même titre dans le tome III de l’édition de Dresde, dont j’ai aussi parlé dans le même Avertissement ; il avait disparu dans les éditions qui suivirent, mais n’échappa pas aux éditeurs de Kehl, qui le donnèrent dans les Fragments sur l’histoire, sous le no XXIX et sous le titre de Détails sur les œuvres historiques de l’auteur. Dans la plupart des éditions récentes, en conservant la même place, il ne porte plus le même numéro. Dans une ou deux des dernières éditions, ce morceau a été mis en tête de l’Essai sur les Mœurs, et comme préface de cet ouvrage. Ce n’était, comme on l’a vu, que la préface d’une très-petite partie. (B.)
  2. Mme  du Châtelet.