Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/453

Cette page a été validée par deux contributeurs.
443
SERMON DES CINQUANTE.

Le premier roi juif renouvelle la coutume d’immoler des hommes : Saül ordonna prudemment que personne ne mangeât de tout le jour pour mieux combattre les Philistins, et pour que ses soldats eussent plus de force et de vigueur ; il jura au Seigneur de lui immoler celui qui aurait mangé : heureusement le peuple fut plus sage que lui ; il ne permit pas que le fils du roi fût sacrifié pour avoir mangé un peu de miel. Mais voici, mes frères, l’action la plus détestable et la plus consacrée : il est dit que Saül prend prisonnier un roi du pays, nommé Agag ; il ne tua point son prisonnier ; il en agit comme chez les nations humaines et polies. Qu’arriva-t-il ? le Seigneur en est irrité, et voici Samuel, prêtre du Seigneur, qui lui dit : « Vous êtes réprouvé pour avoir épargné un roi qui s’est rendu à vous » ; et aussitôt ce prêtre boucher coupe Agag par morceaux. Que dirait-on, mes frères, si, lorsque l’empereur Charles-Quint eut un roi de France en ses mains, son chapelain fût venu lui dire : Vous êtes damné pour n’avoir pas tué François Ier, et que ce chapelain eût égorgé ce roi de France aux yeux de l’empereur, et en eût fait un hachis. Mais que dirons-nous du saint roi David, de celui qui est agréable devant le Dieu des Juifs, et qui mérite que le messie vienne de ses reins ? Ce bon roi David fait d’abord le métier de brigand : il rançonne, il pille tout ce qu’il trouve ; il pille entre autres un homme riche nommé Nabal, et il épouse sa femme. Il se réfugie chez le roi Achis, et va, pendant la nuit, mettre à feu et à sang les villages de ce roi Achis son bienfaiteur : il égorge, dit le texte sacré, hommes, femmes, enfants, de peur qu’il ne reste quelqu’un pour en porter la nouvelle. Devenu roi, il ravit la femme d’Urie, fait tuer le mari ; et c’est de cet adultère homicide que vient le messie, le fils de Dieu, Dieu lui-même : ô blasphème ! Ce David, devenu ainsi l’aïeul de Dieu pour récompense de son horrible crime, est puni pour la seule bonne et sage action qu’il ait faite. Il n’y a pas de prince bon et prudent qui ne doive savoir le nombre de son peuple, comme tout pasteur doit savoir le nombre de son troupeau. David fait le dénombrement, sans qu’on nous dise pourtant combien il avait de sujets, et c’est pour avoir fait ce sage et utile dénombrement qu’un prophète vient de la part de Dieu lui donner à choisir, de la guerre, de la peste, ou de la famine[1].

Ne nous appesantissons pas, mes chers frères, sur les barba-

  1. Voyez, tome XIX, page 318, ce que Voltaire dit de ces trois ingrédients de ce bas monde.