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Je m’attendais à voir comment les décrétales changèrent toute la jurisprudence de l’ancien code romain ; par quelles lois Charlemagne gouverna son empire ; et par quelle anarchie le gouvernement féodal le bouleversa ; par quel art et par quelle audace Grégoire VII et ses successeurs écrasèrent les lois des royaumes et des grands fiefs sous l’anneau du pêcheur, et par quelles secousses on est parvenu à détruire la législation papale ; j’espérais voir l’origine des bailliages qui rendirent la justice presque partout depuis les Othons, et celle des tribunaux appelés parlements, ou audiences, ou bancs du roi, ou échiquier ; je désirais de connaître l’histoire des lois sous lesquelles nos pères et leurs enfants ont vécu ; les motifs qui les ont établies, négligées, détruites, renouvelées ; je cherchais un fil dans ce labyrinthe ; le fil est cassé presque à chaque article. J’ai été trompé, j’ai trouvé l’esprit de l’auteur, qui en a beaucoup, et rarement l’esprit des lois. Il sautille plus qu’il ne marche ; il amuse plus qu’il n’éclaire ; il satirise quelquefois plus qu’il ne juge ; et il faut souhaiter qu’un si beau génie eût toujours plus cherché à instruire qu’à étonner.

Ce livre défectueux est plein de choses admirables, dont on a fait de détestables copies. Les fanatiques l’ont insulté par les endroits mêmes qui méritent les remerciements du genre humain[1].

LXII.

Malgré ses défauts, cet ouvrage doit être toujours cher aux hommes, parce que l’auteur a dit sincèrement ce qu’il pense, au lieu que la plupart des écrivains de son pays, à commencer par le grand Bossuet, ont dit souvent ce qu’ils ne pensaient pas. Il a partout fait souvenir les hommes qu’ils sont libres ; il présente à la nature humaine ses titres, qu’elle a perdus dans la plus grande partie de la terre ; il combat la superstition ; il inspire la morale.

LXIII.

Sera-ce par des livres qui détruisent la superstition, et qui rendent la vertu aimable, qu’on parviendra à rendre les hommes meilleurs ? Oui ; si les jeunes gens lisent ces livres avec attention, ils seront préservés de toute espèce de fanatisme : ils sentiront que la paix est le fruit de la tolérance, et le véritable but de toute société.

  1. Voyez tome XXIII, page 457, le Remerciement sincère à un homme charitable.