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vaient acheter la cannelle. Ce qui était très-raisonnable en Espagne eût été très-ridicule en Hollande.

LVIII.

C’est, ce me semble, encore un grand abus de citer les lois de Bantam, du Pégu, de Cochin, de Borneo, pour nous prouver des vérités qui n’ont pas besoin de tels exemples. L’illustre auteur de l’Esprit des lois tombe souvent dans cette affectation : il nous dit qu’à « Bantam le roi prend toute la succession d’un père de famille, la maison, la femme et les enfants » ; cela se trouve, dit-il, dans un recueil de voyages. Mais la chose est impossible : car en deux générations le roi aurait toutes les maisons et toutes les femmes en propriété. Un voyageur dit souvent des choses qu’un homme qui écrit en législateur ne doit jamais répéter.

LIX.

Le même auteur prétend qu’au[1] Tonquin tous les magistrats et les principaux officiers militaires sont eunuques, et que, chez les Lamas[2], la loi permet aux femmes d’avoir plusieurs maris. Quand ces fables seraient vraies, qu’en résulterait-il ? Nos magistrats voudraient-ils être eunuques, et n’être qu’en quatrième ou en cinquième auprès de mesdames les conseillères ?

LX.

Il ne faut, dans un ouvrage de législation, ni conjectures hasardées, ni exemples tirés de peuples inconnus, ni saillies d’esprit, ni digressions étrangères au sujet. Qu’importe à nos lois, à notre administration, « qu’il n’y ait de fleuve navigable en Perse que le Cirus » ? L’auteur ne devait pas sans doute omettre le Tigre, l’Euphrate, l’Araxe, le Phase, l’Oxus. Mais à quoi bon étaler une géographie si erronée, quand on ne doit nous parler que de nos intérêts ?

LXI.

Pourquoi perdre son temps à se tromper sur les prétendues flottes de Salomon envoyées d’Ésiongaber en Afrique, et sur les chimériques voyages depuis la mer Rouge jusqu’à celle de Bayonne, et sur les richesses encore plus chimériques de Sofala ? Quel rapport avaient toutes ces digressions erronées avec l’Esprit des lois ?

  1. Livre XV. chap. xviii. (Note de Voltaire.)
  2. Livre XVI, chap. v. (Id.)