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DE M. 1)1- CRÉBILLON. SlJo

rime et du choix des mots. Il n'y a pas un vers dans tous ses ouvrages qui aille au cœur; et on peut conclure, par le froid qui règne dans tous ses drames, qu'il était incapable de faire une scène tragique.

Si lAI. de Crébillon avait plus châtié son style, je ne balance- rais pas à le placer, malgré ses défauts, infiniment au-dessus de Rousseau : car si on doit proportionner son estime aux difficultés vaincues, il est certainement plus difficile de faire une tragédie qu'une ode. Les cantiques d'Athalie et d'Esther sont ce que nous avons de meilleur en ce genre ; mais approchent-ils d'une seule scène bien faite ?

RHADAMISTE.

Rhadamiste est la meilleure pièce de M. de Crébillon, L'intrigue est tirée tout entière du second tome d'un roman assez ignoré, inti- tulé 5rré/ua' ^ Cette pièce fut jouée, pour la première fois, en 1711, et eut trente représentations. Elle est pleine de grands traits de force et de pathétique. On trouva, il est vrai , l'exposition trop obscure, et l'amour d'Arsame trop faible; Pharasmane ressemblait trop à Mithridate amoureux d'une jeune personne dont ses deux fils sont amoureux aussi. C'était imiter un défaut de Racine; mais le rôle de Pharasmane est plus fier et plus tragique que celui de Mithridate, s'il n'est pas si bien écrit.

Ce que les esprits sages condamnèrent le plus dans cette pièce, ce fut une idée puérile de Rhadamiste, qui attribue aux Romains un ridicule dont ils étaient fort éloignés. Il suppose qu'il est choisi par eux pour aller, sous un nom étranger, en ambassade auprès de son propre père, pour semer la discorde dans sa famille. Comment la cour de l'empereur romain aurait-elle été assez im- bécile pour imaginer que ce fils serait toujours inconnu à la cour de Pharasmane, et qu'étant une fois reconnu il ne se raccommo- derait point avec lui?

Une telle extravagance n'est jamais entrée dans la tête de personne, excepté dans celle de l'auteur du roman de Bérénice, pour lequel M. de Crébillon a poussé trop loin la complaisance. Il pallie autant qu'il le peut le vice de cette supposition, en disant :

Des Romains si vantés telle est la politique*.

1. Par Segrais, 1651, quatre volumes in-8°. '2. liliadamiste, acte II, scène i'®.

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