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ENTRETIEN

D’ARISTE ET D’ACROTAL[1]

ACROTAL.

O le bon temps que c’était quand les écoliers de l’université, qui avaient tous barbe au menton, assommèrent le vilain mathématicien Ramus[2], et traînèrent son corps nu et sanglant à la porte de tous les collèges pour faire amende honorable!

ARISTE.

Ce Ramus était donc un homme bien abominable ? il avait fait des crimes bien énormes ?

ACROTAL.

Assurément ; il avait écrit contre Aristote, et on le soupçonnait de pis. C’est dommage qu’on n’ait pas assommé aussi ce Charron, qui s’avisa d’écrire de la sagesse, et ce Montaigne, qui osait raisonner et plaisanter. Tous les gens qui raisonnent sont la peste d’un État.

ARISTE.

Les gens qui raisonnent mal peuvent être insupportables ; je ne vois pourtant pas qu’on doive pendre un pauvre homme pour quelques faux syllogismes ; mais il me semble que les hommes dont vous me parlez raisonnaient assez bien.

ACROTAL.

Tant pis, c’est ce qui les rend plus dangereux.

ARISTE.

En quoi donc, s’il vous plaît ? Avez-vous jamais vu des philosophes apporter dans un pays la guerre, la famine ou la peste : Bayle, par exemple, contre qui vous déclamez avec tant d’emportement, a-t-il jamais voulu crever les digues de la Hollande

  1. Cet Entretien parut, en 1761, à la suite des précédents : voyez la note page 205.
  2. Voyez tome XX, page 319.